L’exposition consacrée par le musée Guimet (du 16 octobre au 13 janvier 2014) à Louis Delaporte, l’un des «redécouvreurs» majeurs d’Angkor en 1866, fournit une excellente occasion de retracer l’histoire de tous les archéologues amateurs français du XIXe siècle, qui, séjournant au Cambodge ou y voyageant pour d’autres raisons (militaires le plus souvent), ont remis en lumière Angkor Vat. Le plus beau temple khmer du pays, et l’un des sites les plus mythiques du patrimoine mondial, était demeuré durant des siècles oublié, et menacé par une jungle tropicale où le jeune André Malraux crapahutera un peu plus tard, dans des circonstances rocambolesques qu’il romancera dans La voie royale.
Si l’on oublie le brave père Bouillevaux, le premier vrai découvreur d’Angkor fut Henri Mouhot (1826-1861), à qui Claudine Le Tourneur d’Ison consacre un récit très littéraire, Temples perdus. On y suit à la trace le botaniste-naturaliste-archéologue autodidacte-aventurier au cours de son grand périple asiatique, de septembre 1858, son arrivée à Bangkok, jusqu’à sa mort, le 10 novembre 1861, au Laos, rongé par les fièvres. Auparavant, le 23 janvier 1860, il avait connu l’extase, la justification de sa quête, à Angkor (Thom et Vat), où il a passé trois semaines. Mouhot a laissé, heureusement, de précieux et minutieux carnets, transmis à son frère et publiés posthumes.
Louis Delaporte (1842-1925), lui, était un marin, lieutenant de vaisseau qui « tombe » sur Angkor en 1866, et y reviendra ensuite pour des missions personnelles, en 1873 et 1881-1882. Il en rapportera, outre ses comptes rendus, des objets, des dessins sublimes et des moulages, qu’il s’évertuera, toute sa vie, à faire connaître au public français. Refusé par le Louvre, son embryon de musée séjournera à Compiègne, puis au Trocadéro (détruit en 1936), avant de fournir au musée Guimet l’une de ses plus belles collections. Le livre-catalogue qui accompagne l’exposition, outre le rôle fondamental de Delaporte et de ses collègues dans la conservation du patrimoine khmer, resitue bien leur entreprise dans le contexte historique de la colonisation française en Asie (et en particulier au Cambodge), depuis le temps où Napoléon III refusait à Mouhot une aide que celui-ci, installé en Angleterre, obtint des sociétés royales de géographie et de zoologie. Peut-être parce que l’aventurier avait autrefois coudoyé, à Jersey, Victor Hugo en exil. Cet aveuglement passager n’a pas empêché la France de jouer un rôle éminent dans la connaissance et le sauvetage d’Angkor, jusqu’à nos jours.
J.-C. P.