François-Henri Désérable, tout juste trentenaire, qui, au grand dam de sa pauvre mère, a préféré le hockey sur glace au droit, puis, par-dessus tout, la littérature, découverte sur le tard, dit-il, fait partie de cette génération de jeunes écrivains français surdoués et talentueux, récemment apparue : les Arthur Dreyfus ou Clément Bénech, entre autres, qui sont de ses amis et figurent dans son roman sous leurs seuls prénoms. Mais le second y joue un rôle important, en tant que premier lecteur, voire conseiller de l’auteur, à qui il distille ses avis. Si l’on en juge par le résultat, ce gros livre à tiroirs qui imbrique trois histoires et joue avec les codes du genre, Clément a fait du bon boulot, et François-Henri franchi haut la crosse le cap, si redouté, du deuxième roman.
Un certain M. Piekielny est donc un millefeuille, une machinerie romanesque où le narrateur, coincé par hasard à Vilnius, capitale de la Lituanie, dans des circonstances rocambolesques, se souvient de La promesse de l’aube, l’autobiographie de Romain Gary (1914-1980) et l’un de ses plus beaux livres, où il parle de ses années d’enfance dans une cité qui s’appelait alors Wilno, surnommée "la Jérusalem de Lituanie", avec ses 60 000 Juifs. Au chapitre VII, apparaît un certain M. Piekielny, un voisin des Kacew - le vrai nom de Gary, alias Roman, et de sa mère Mina, de père, point -, raflé avec l’active complicité des Lituaniens, déporté et assassiné en 1941. De la date, on est sûr. Du reste, beaucoup moins. Gary ne donne guère de détails, et il a toujours été coutumier de l’affabulation, des pièges, des chausse-trapes, jusqu’à la fameuse affaire Ajar. Désérable, alors, décide de se lancer sur la piste de ce M. Piekielny ("Infernal"). Une enquête longue, compliquée, à rebondissements, dont il n’aura le fin mot qu’à l’épilogue de son propre livre, lorsque, désespérant d’aboutir, il retournera à Vilnius une ultime fois.
Chemin faisant, l’écrivain d’aujourd’hui retrace à grandes guides, et non sans une salutaire insolence, le parcours de Gary, et fait largement appel à son imagination : ainsi, il s’invente un rendez-vous familier avec son maître, dans un bistrot parisien disparu. Comme les Juifs, victimes d’abord des nazis, puis des Russes. Ils ne sont plus que 1 200 de nos jours à Vilnius. Mais au fil des pages, François-Henri Désérable se raconte aussi "en famille", avec Michele, le grand-père gondolier vénitien installé en Picardie, et la mère, surtout, cette "anti-Mina", à qui il rend hommage. Et ces pages autobiographiques, drôles et tendres, sont peut-être celles que l’on préfère. J.-C. P.