Depuis la parution de son premier livre, Portrait du fleuve (Gallimard, « Le chemin », 1991), Emmanuel Venet publie avec parcimonie. Ce psychiatre lyonnais revient à la rentrée chez Verdier où il a déjà signé deux titres : Précis de médecine imaginaire (2005) et Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud (2006). Court roman mélancolique et réaliste, Rien entrecroise deux parcours, deux époques.
Le narrateur et Agnès vivent sous le même toit, respirent le même air et fréquentent les mêmes proches. Mais ne sont-ils pas avant tout deux étrangers cheminant de concert ? Monsieur a invité madame pour célébrer le vingtième anniversaire de leur rencontre. Un voyage en amoureux, histoire, « de signifier [s]on désir de pacification et [s]a volonté de réparer ce qui peut l’être d’un lien érodé par si longtemps de vie commune ».
Au Negresco de Nice, ils logent au deuxième étage. Dans la chambre 214 et non dans la 13. Celle où ont naguère séjourné, face à la mer, Jean-Germain Gaucher et Marthe Lambert. Des « amants terribles », des « amants en bout de course ». Gaucher est un « compositeur de troisième ordre » auquel le narrateur a consacré, après sa thèse de doctorat, « un essai, un roman et l’appareil critique accompagnant ses écrits ». Ce musicien, qui n’a pas de notice Wikipédia, a été rond-de-cuir dans une société d’assurance le jour et violoniste du rang à la Philharmonie de Montparnasse le soir. Marthe, soprano, qui a épousé en secondes noces le fils d’un académicien, avait alors souhaité renouer avec lui, des années après leur rupture. Le lecteur découvre peu à peu un homme qui a fini « ruiné, meurtri par son fourvoiement conjugal, abandonné par une maîtresse qu’il a adulée et conscient d’avoir gâché son talent depuis sa jeunesse ». Un homme mort en 1924, dans l’escalier de son immeuble de la rue Bonaparte, écrasé par son demi-queue Pleyel…
Emmanuel Venet met à nu les illusions et les désillusions qui jalonnent l’existence, les mirages de l’amour et de la création, tout en s’interrogeant sur le couple. Romantiques, s’abstenir !
Alexandre Fillon