23 août > Récit France > Jean-Luc Coatalem

Jean-Luc Coatalem et Victor Segalen (1878-1919) sont tous deux bretons de Brest, issus de familles de militaires coloniaux, tous deux voyageurs, et écrivains. Sans bien sûr oser se comparer à son aîné, que visiblement il vénère depuis qu’il a découvert son roman (inachevé) René Leys, il y a plus de trente ans, à la librairie Le Pont traversé de feu Marcel Béalu, le cadet lui adresse aujourd’hui une longue lettre, inspirée, comme dictée par la mythique forêt de Brocéliande, le cœur du monde celte.

C’est dans une autre forêt que commence et s’achève le récit de Coatalem, bien réelle celle-là, et située dans le Finistère : la forêt du Huelgoat, non loin de Châteaulin, où séjourna, en mai 1919, le docteur Segalen, au Grand Hôtel d’Angleterre. Souffrant depuis longtemps d’un mal mystérieux et apparemment incurable, une sorte de neurasthénie aiguë que les calmants et l’abus d’opium, dont il peinait à se désaccoutumer, n’ont guère arrangée, il était venu s’échouer dans sa Bretagne natale, auprès des deux femmes de sa vie à qui il écrivait de belles lettres sur des papiers différents : Yvonne, son épouse, et Hélène, son amie de cœur. Un Shakespeare à la main, Hamlet surtout, sa pièce favorite, l’aventurier rescapé des lointains (la Chine, en particulier, où il a séjourné trois fois et qui l’a profondément marqué) se promenait, méditait, ruminait peut-être les échecs de ses livres, et cherchait sans doute à stimuler son inspiration : il avait envisagé, rappelle Coatalem, de s’atteler à des "Immémoriaux bretons". "Mais il était bien tard."

C’est dans la forêt du Huelgoat, donc, au lieu-dit Le Gouffre, qu’on a retrouvé le cadavre de Segalen, le 21 mai 1919, blessé au talon, un tendon coupé, vidé de son sang. D’aucuns ont parlé de suicide. On ne le saura jamais : pas d’autopsie, obsèques rapides. Restent une œuvre et une légende, que Jean-Luc Coatalem revisite et ravive, avec respect, voussoyant Segalen et se racontant lui-même, modestement, dans les marges. Cela donne un livre séduisant, élégant, servi par une écriture hauturière. J.-C. P.

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