Alors que les derniers vacanciers viennent de rentrer, les premiers chiffres esquissent un tableau sombre de l'été dans les points de vente de livres. Tous circuits confondus, le baromètre
Livres Hebdo/I+C fait apparaître une chute de 6,5 % en juillet, ramenée toutefois à 1,5 % une fois corrigé l'effet calendaire (1). L'institut GFK annonce pour ce même mois un recul de 5,3 %. Et l'Observatoire de la librairie, qui compte 200 établissements indé-pendants, enregistre, sur ce seul circuit, un recul de 2,7 % en juillet et de 9,5 % en août. La dégringolade d'août est cependant surtout liée à la baisse de 30 % des ventes aux collectivités, un an après le renouvellement des manuels scolaires rendu nécessaire par la réforme des programmes. Les ventes au comptant, elles, s'améliorent légèrement en août, avec une hausse de 0,7 %, après un -repli de 4,5 % en juillet.
Sur le terrain, les libraires restent mesurés, qualifiant l'été 2018 de « déce-vant », « médiocre », « bizarre », « pas terrible », sans être catastrophique. « On a retrouvé les niveaux d'activité de 2016 », tempèrent plusieurs libraires, à l'instar d'Alain Lamarre (Vent de soleil, à Auray). L'impact de l'activité estivale sur les comptes diffèrent d'un endroit à l'autre. Pour un certain nombre de librairies, notamment en Ile-de-France, les mois de juillet et août sont parmi les plus faibles de l'année et ne constituent pas un gros enjeu. Mais pour ceux situés dans les zones touristiques, en particulier balnéaires, août est souvent le deuxième mois le plus important de l'année après décembre.
Deuxième été le plus chaud depuis 1900
La fréquentation a été fortement perturbée. Les librairies, comme l'ensemble des commerces, ont pâti de la Coupe du monde de football, qui a vidé les magasins jusqu'au 13 juillet, et surtout d'une météo caniculaire. Avec la persistance de températures élevées sur la quasi-totalité du pays, Météo France a placé l'été 2018 au deuxième rang des étés les plus chauds depuis 1900, après 2003. Cette année-là, les ventes de livres avaient d'ailleurs fortement reculé : selon le baromètre Livres Hebdo/I+C, elles avaient baissé de 1,5 % en juillet et surtout de 8 % en août, avec une chute plus marquée dans les librairies que dans la grande distribution. Le phénomène s'est répété en juillet dernier selon ce même baromètre. Au--delà des effets de périmètre sensibles pour les grandes surfaces culturelles qui ne cessent d'ouvrir des magasins, ce déca-lage s'explique aussi par une désaffection des centres-villes auxquels sont préférés les centres commerciaux climatisés durant les jours de canicule. Au Furet du nord, la chef de produit livre, Nathalie Deleval, observe qu'au sein du réseau « l'été a été meilleur dans [les] magasins franciliens situés en centre commercial ». A Biarritz, Patrick Darrigade (Darrigade-Maison de la presse) a de nouveau constaté que « la chaleur casse tout mouvement dans les villes, même en zone touristique ». Et à Paris, Quentin Schoëvaërt (Atout Livre, à Paris 12e) ne cache pas que « l'absence de climatisation dans notre magasin a fortement pénalisé la fréquentation. Même quand les gens venaient, ils ne restaient pas. Résultat, en juillet, notre chiffre d'affaires a baissé de 6 %. En août, par contre, il est à peu près stable. »
La grande saison du poche
Au-delà de ces conséquences de la météo, le bilan de l'été 2018 met en lumière l'importance grandissante du poche durant la période estivale. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il ne cesse de s'affirmer chaque année. Au-delà des spécificités liées au prix et au format, plus adapté aux voyages, Eric Lafraise (directeur du livre chez Cultura) estime que « la surexposition du rayon durant les opérations commerciales menées l'été en librairie par les éditeurs, du type "pour 2 poches achetés : le 3e offert", accentue le mouvement ». A Ajaccio, Ghislaine Caviglioli (La Marge) estime que les ventes de livres au cours de l'été « se sont faites à plus de 50 % sur le poche ». A Granville, Raphaël Naklé (Le Détour) annonce « 1 000 ventes en grand format pour 1 800 ventes de poche. Et avec le semi-poche on serait plutôt à 2 500 ». Mais, comme beaucoup d'autres de ses confrères, le libraire normand met surtout en avant l'importance accordée aux conseils des libraires : « c'est devenu une période très importante pour les prescriptions : ce que l'on vend le plus l'été, ce sont nos coups de cœur. »
Dans ce cadre, Pierre Coutelle (Mollat à Bordeaux) remet en cause « l'idée que les gens n'aspireraient qu'à des lectures faciles l'été. Beaucoup sont au contraire ouverts et curieux de lire des choses pointues et qui nécessitent du temps. D'ailleurs, notre focus estival, baptisé cette année "Un grain de sable dans la pensée" et centré sur les sciences humaines, a rencontré un joli succès. »
Désormais, tous les libraires mettent en place les nouveautés de la rentrée littéraire, qu'ils apprécient déjà pour son ouverture et l'absence de mastodontes.
(1) Voir LH n°1183 du 31.08.18 p.47.