6 avril > Roman Etats-Unis > Nick Tosches

Jésus revient ! En librairie, à tout le moins. Il y a eu La dernière tentation [du Christ] de Nikos Kazantzaki réédité par Cambourakis l’année dernière. En 2014, Le Royaume d’Emmanuel Carrère (P.O.L), réflexion "chrétienne" de l’auteur et vie de Jésus inspirée de l’évangile selon saint Luc. Ces jours-ci, chez Grasset, l’Italien Sandro Veronesi donne sa version Selon saint Marc… Si la parousie ne semble pas pour tout de suite, le Nazaréen n’arrête pas de ressusciter en papier. Et maintenant sous la plume de Nick Tosches. Qui l’eût cru ? Sous Tibère - comptons sur l’écrivain américain rock’n’roll - nous présente un Jésus pas très catholique.

Tout commence par un document secret déniché dans les archives de la Bibliothèque vaticane, un incunable confié par un prélat romain sceptique à l’auteur de La main de Dante (Albin Michel, 2002). Le livre qu’on s’apprête à lire, prévient Tosches, est une traduction de ce texte latin signé Gaius Fulvius Falconius, ancien conseiller de l’empereur Tibère exilé en Judée, et testament moral adressé à son petit-fils. Traduttore, traditore, "traducteur, traître", dit le proverbe italien. Dans ce nouveau roman, Nick Tosches trahit superbement le naturel du parler de notre époque afin de mieux rendre compte des échanges entre l’ancien orateur, "plume" des discours de Tibère, et ce pauvre hère juif rencontré en chemin. L’érudition ne manque pas non plus : on y apprend l’étymologie des mots hébreux comme Bethlehem, de Beth-lechem, "Maison du pain", et les us et coutumes des Romains : la depilatio podicis, "la toilette dépilatoire du trou du cul".

Nous voilà entraînés dans un évangile alternatif où le Juif vagabond dénommé Jésus aime l’argent et le sexe. Le vieux prêtre préposé aux archives du Saint-Siège avait annoncé la couleur : "Toute ma vie, j’ai douté de Jésus : la réalité de Jésus, l’existence historique du Jésus de cette Eglise. Il n’apparaissait nulle part, dans aucun document ou récit de l’époque." Sauf dans ces Mémoires de Gaius, qui confesse lui-même son peu de croyance en l’au-delà : "Les dieux sont des êtres imaginaires, et tous sont factices. La cupidité est réelle. Je préfère être accusé d’imposture que de foi." Le rhétoricien romain devient un "spin doctor" avant la lettre du "Messie" futur fondateur du christianisme, c’est l’arnaque non pas du siècle, mais des deux millénaires à venir. Servir au peuple ce qu’il veut entendre : un paradis pour les plus humbles alors qu’on les dépouille ici-bas. Nick Tosches s’amuse en détournant les différents épisodes évangéliques. A propos de la femme adultère, si tromper en esprit c’est tromper, mieux vaut y aller carrément, raisonne le Jésus de Nick Tosches. Une sombre parabole sur la puissance des mots et la pauvre espérance des hommes qui n’attend que d’en être abreuvée pour continuer. Sean J. Rose

24.03 2017

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