La journaliste, éditrice et ancienne présidente de l'Instance vérité et dignité (IVD) Sihem Bensedrine a été arrêtée le 1ᵉʳ août en Tunisie pour « complot contre la sûreté de l’État ». Elle est notamment accusée d'avoir falsifié le rapport final de l'Instance, qu'elle avait publié après la fin de son mandat en 2018. Suite à son arrestation, plusieurs organisations, à l'instar d'Avocats sans frontières et de l'Union internationale des éditeurs (UIE/IPA), ont dénoncé une « dérive autoritaire » et ont appelé les autorités à la libérer.
« Son arrestation est un terrible pas en arrière pour la liberté de publication en Tunisie »
« L'arrestation de Sihem Bensedrine est un terrible pas en arrière pour la liberté de publication en Tunisie. Pendant des décennies, Mme Bensedrine a été un exemple pour le monde entier en tant que journaliste, éditrice et défenseur des droits de l'homme. Nous demandons instamment aux autorités de la libérer et de réaffirmer leur soutien à la liberté d'expression et à la liberté de publication », a déclaré Kristenn Einarsson, présidente de la commission de la liberté de publication de l'UIE/IPA.
« Sihem Bensedrine a été arrêtée sur la base d'accusations forgées de toutes pièces et manifestement motivées par des considérations politiques. Le travail important qu'elle a effectué au sein de l'Instance Vérité et Dignité en Tunisie a dû s'approcher trop près de la vérité », a ajouté José Borghino, secrétaire général de l'organisation qui avait récompensé la détenue du prix de la liberté de publication (aujourd'hui prix Voltaire IPA) en 2009.
Des années de combat
Défenseure des droits humains, Sihem Bensedrine avait présidé l’Instance vérité et dignité (IVD) de Tunisie de 2014 à 2018. L'organisme avait été créé après la révolution tunisienne (2010-2011) pour recueillir les témoignages des victimes de violations de droits humains, commises par les anciens gouvernements tunisiens entre 1955 et 2013, et les indemniser.
Après des années de combat contre le régime de l'ancien chef d'État, Ben Ali, Sihem Bensedrine est aujourd'hui accusée par le président Kaïs Saïed, qui lui a interdit, en mars 2023, toute sortie hors du territoire. Dans un rapport du Conseil des droits de l'homme paru en mai 2023, les rapporteurs exprimaient déjà leur inquiétude quant à la garantie d'un procès juste et équitable pour l'ancienne présidente de l'instance.
Pas plus tard que jeudi 8 août 2024, les experts de l'ONU ont déclaré : « Cette arrestation pourrait s'apparenter à un harcèlement judiciaire à l'encontre de Mme Bensedrine pour le travail qu'elle a entrepris en tant que Présidente de l'Instance Vérité et Dignité ».
Une éditrice censurée
D'abord journaliste pour de multiples journaux et radios, Sihem Bensedrine a subi pendant plusieurs années la censure des autorités qu'elle critique. Y compris dans le milieu de l'édition, qu'elle a rejoint avec la maison Arcs (1988-1994). En 1998, elle intègre la maison d'édition tunisienne Noir sur Blanc avant d'être licenciée, un an plus tard, en raison de pressions gouvernementales. Elle fonde alors la maison Aloès qui ferme à son tour en 2000.
En dépit de tous ces obstacles, l'éditrice n'a pourtant jamais cessé de défendre la liberté de publication, assurant, lors d'un séminaire régional de l'UIE à Nairobi, en 2019 : « Le livre est le lieu où la mémoire est stockée et chaque livre censuré est un souvenir perdu. »