Petit aveu pour commencer. Avant cet album, on n’avait jamais entendu le mot "poya". Il désigne la montée en alpage dans les montagnes suisses. La poya fait partie des traditions séculaires encore vivaces chez les Helvètes. Ce joli album met en images la transhumance des bêtes, de l’ascension à la descente. Pour le petit garçon qui va être du voyage, c’est un baptême. Et pour sa vache, Lise, aussi. Pas de grandes premières sans petites trouilles. Histoire de leur donner du cœur au ventre avant la grande montée, les vachers couronnent les bêtes de fraîches fleurs alpines, rhododendrons rouges et gentianes bleues. La route est longue, le troupeau avance péniblement. En chemin il arrive que Lise soit rétive et que le petit garçon ait un peu le mal du pays, ou plutôt du bol de lait que lui préparait sa mère dans la vallée. Mais voilà que les premiers chamois font leur apparition et bientôt c’est l’arrivée à l’alpage. Trois mois là-haut, sur les sommets, loin de tout, c’est long et c’est court. Tiens ! La chemise du garçon a raccourci, il a grandi. Les fleurs ont fané et le ciel s’est obscurci. Il est temps de redescendre.
L’album impressionne par la beauté des dessins, simples, naïfs, colorés de teintes vives, et aussi par la forme qu’il utilise, dite "leporello". Kesako ? Le mot désigne un livre frise qui se déplie comme un accordéon. Pour l’anecdote, il tire son étymologie de Leporello, le valet de don Juan qui n’en finissait pas de présenter à la pauvre donna Elvira la liste des conquêtes de son maître. L’art subtil de la Suissesse Fanny Dreyer tient dans la représentation sur une même page des vaches dans un sens puis dans l’autre, suivant ainsi le lent cheminement durant l’ascension. Comme la vache Lise est un tantinet butée, Fanny Dreyer l’a aussi représentée une fois tournée dans le mauvais sens… Grâce soit rendue à l’éditeur genevois La Joie de lire qui fête cette année ses trente ans d’édition de littérature jeunesse et dont la ligne exigeante a fait la réputation. A défaut de vacances à la montagne, on prendra un grand bol d’air pur dans ces pages !
Fabienne Jacob