Plainview, une petite ville de l’Indiana: on retrouve les "Suprêmes", ces trois Afro-Américaines copines depuis leurs vingt ans, dont Edward K. Moore nous avait raconté l’amitié à la vie à la mort dans le savoureux premier volet, paru en 2014.
Cinq ans ont passé: les "Suprêmes" ont dépassé la soixantaine. Odette, la plus forte dans tous les sens du terme, qui a le don de communiquer avec les morts, a survécu à un cancer. Elle est toujours mariée à James, discret policier, avec qui elle a eu trois enfants. Clarice, mère de quatre enfants, qui a enfin la carrière de pianiste dont elle rêvait, ne vit plus sous le même toit que son cavaleur de mari mais le convoque à volonté pour des parties de sexe récréatives. La troisième, Barbara Jean, qui a grandi dans le quartier le plus pauvre de la ville auprès d’une mère prostituée et alcoolique et qui a perdu son fils à l’âge de 8 ans, finance des œuvres philanthropiques avec l’argent de son premier mari décédé et a épousé "le roi des petits Blancs craquants". Ce qui n’a pas changé: le déjeuner rituel des trois amies et de leurs compagnons dans le restaurant de Earl le dimanche après la messe.
Au mariage improbable de la mère de Clarice, une chrétienne dévote qui épouse à 80 ans le tenancier du Pink Slipper, "un club pour gentlemen" de la ville, apparaît El, vieux chanteur de blues, survivant d’un groupe formé en 1949. Invité par le marié, le musicien accompagné de sa fidèle "guitare léopard" est là pour chanter The happy heartache blues, une chanson porte-bonheur de sa composition qu’il a interprétée à chaque mariage de son ami de jeunesse (c’est le cinquième). Ancien junkie, cet enfant du pays qui a grandi dans une famille d’accueil et que personne ne reconnaît revient, au bout du rouleau, dans la ville où il n’a vécu que drames. Et son retour qui sonne comme l’heure des jugements est l’occasion pour le romancier d’évoquer, dans cette Amérique noire des années 1950, les hérédités malheureuses et les liens rédempteurs. Et pour le violoncelliste professionnel qu’est Edward K. Moore de rendre hommage, après la musique des seventies de Diana Ross et ses acolytes, à celle des cœurs brisés. "Le blues, c’est ce que devient une chanson d’amour une fois que le chanteur s’en est pris plein la gueule". Véronique Rossignol