Le narrateur a deux grands frères, "les frères", qui ont 8 et 10 ans de plus que lui, il a aussi une petite sœur "avec un prénom à la noix", Corinne, dite Coco. Et, bien sûr, des parents, dénommés de façon doucement ironique " le papa" et " la maman" - la tendresse de l’hypocoristique "papa-maman" est démentie par les articles définis "le" et "la" qui réduisent les géniteurs à de pures fonctions. Les amygdales, la première fiction de Gérard Lefort, journaliste et longtemps l’une des plus flamboyantes plumes de Libération, c’est le monde à travers les yeux d’un petit garçon "aux aguets perpétuels", le roman du passage de l’enfance aux prémices de l’adolescence avec ses jeux (le narrateur en quête de popularité auprès de ses pairs est un amuseur-né) et ses chagrins (mort du meilleur ami, Jacques Avril, compagnon des quatre cent coups, emporté par la leucémie). Le drame minuscule a pour décor principal le foyer et ses dépendances (dont Ker Afrique, villa de bord de mer rococo où la famille villégiature souvent) et pour protagonistes les différents membres de ce petit clan au mode de vie cossu (bonne à demeure et téléviseur à une époque où l’appareil est un luxe). En apparence c’est la famille "Normale" dans le Jeu des sept familles, en réalité il y a maldonne. Sportif accompli, le pater familias est viril mais se ronge les ongles, "la maman" préfère qu’on l’appelle "mère" et qu’on lui donne du "vous", les frangins trinquent "par ricochet" pour la mésentente du couple. Ne reste au narrateur qu’à être un enfant parfait. Il est bon élève mais a l’œil acerbe. Il rit des ridicules de cette mère qui se prend pour une aristo et n’exprime que froideur à l’endroit de ses proches : "embrasser, caresser, sourire, un mot gentil, non la maman ne peut pas, n’aime pas les enfants, n’aime pas ses enfants qu’elle considère comme une entourloupe de la nature, des enfants naturels qui sont toujours restés à ses yeux des étrangers. Et la maman n’aime pas le papa, son mari, non plus." Les amygdales est le livre d’un être double, tiraillé entre le désir de plaire et de s’attirer les bonnes grâces et les rires de ses pairs, et le tragique d’une singularité toujours prête à s’extraire du groupe, car incapable d’y totalement adhérer. S. J. R.