Clandestin à Marseille, Brahim trimbale son chien Minot et un caddie plein de marchandises trouvées dans la rue, qu'il tente de vendre entre deux descentes de police sur le marché sauvage de la place Jules-Guesde où se presse tout ce que la cité compte de pauvres, d'exclus et de bandits. La narratrice, écrivain public dans une grande poste du centre-ville, l'a rencontré un an plus tôt, injuriant d'une plage, à l'embouchure du Vieux-Port, les ferries en partance. C'est elle qui fait les présentations au début de ce roman cru et plein de verve, avant de laisser le clochard conter lui-même son histoire commencée sur la rive sud de la Méditerranée, poursuivie rive nord à partir du début des années 1960. En troubadour emporté, Brahim écrit la légende des siens, se souvient de son père rentré au douar amputé d'une jambe, laissée dans les tranchées de la Grande Guerre. Il évoque les femmes, surtout, de là-bas et d'ici, mamans et putains, guerrières sorcières et nourricières affrontant la misère et les maléfices des "jnouns" : la mère ("Fadéla, ma mère, n'en faisait qu'à sa tête, le coup de coeur brouillon"), la grand-mère paternelle, Haffida, Zina la Morte, la prostituée devenue apothicaire, survivante d'un tremblement de terre auquel a réchappé aussi Brahim, la blonde Antoinette, la plantureuse Fatima Kader qui a le pouvoir d'interpréter les songes...
Réfractaire magnifique, Brahim refuse d'aller demander des papiers au bureau des étrangers de la préfecture. Et trouve "les rues de la ville moins humides que les cellules dégoulinantes" de l'oncle Kédir, le vieil Arabe qui depuis trente ans a fourni des piaules infâmes à une "armada de brûleurs de frontières".
Massalia blues est un blues qui cogne dur, qui hurle, qui exagère, qui gémit, qui implore. Minna Sif chante son amour furieux pour le peuple de Marseille et sa prose à l'accent célinien emprunte au mistral ses rafales d'enfer. L'auteur de Méchamment berbère (J'ai lu, 2000) ressemble à la narratrice de son roman qui a hérité de la "bonté terrible" de son père et est «animée d'une rage indélébile à [se] mettre du côté des proscrits, des gens perdus, des âmes rugueuses". C'est une "forte en langue" qui a mis toute sa ferveur dans cette geste à la gloire des humiliés.