Balzac et Paris, ce n’est pas une histoire, c’est une aventure. On ne sait pas où l’un va conduire l’autre. Les personnages de La comédie humaine sont habités comme ils habitent leurs demeures. "Les lieux où habitent et évoluent les personnages font partie de leur personnalité, ils les définissent au même titre que leur physique, leur costume ou leur intérieur." Fort de ce constat, Eric Hazan se propose de suivre l’écrivain qui a déménagé dix fois en trente-cinq ans.
Ce n’est pas la première fois que l’éditeur - il est le patron de La Fabrique - consacre un livre à Paris et à son histoire - on se souvient de L’invention de Paris (Seuil, 2002) -, mais c’est la première où il développe le lien entre la ville et un écrivain. "La relation de Balzac avec Paris est unique." Cette singularité, Eric Hazan la traque dans les rues de la capitale et dans les pages de l’écrivain. C’est ce qui rend son essai captivant, proche dans la forme mais très différent dans le fond du Paris de Balzac d’Anne-Marie Baron, publié en 2016 aux éditions Alexandrines.
Louis Chevalier, grand historien de Paris et professeur au Collège de France, considérait l’œuvre de Balzac comme un document pour saisir l’esprit d’un lieu. "Pour comprendre les manipulations financières qui ont entouré la construction du quartier de la Madeleine, c’est César Birotteau qu’il faut lire." Eric Hazan le confirme. Balzac nous en apprend beaucoup plus sur la bourgeoisie boutiquière de l’endroit que bien des archives.
L’auteur d’Une traversée de Paris (Seuil, 2016) raconte et explique pourquoi Vautrin voit dans la capitale un bourbier, au sens propre, si l’on ose dire, comme au figuré, un cloaque éclairé au gaz depuis 1817 dans les beaux quartiers. Il met ses pas dans ceux de Balzac, même si "le peuple est le grand absent de La comédie humaine". Qu’importe, il y a là un résultat inouï, une osmose entre celui qui habite et ce qu’il représente. Balzac, lui-même, est devenu urbain. "Comment l’ancien pensionnaire du collège de Vendôme, le fils d’une famille sans titres ni fortune a-t-il fait son entrée dans un monde parisien si brillant à son époque ? Comment en est-il devenu l’un des personnages marquants tout en restant lui-même une sorte de "parvenu de mauvaise éducation" ?"
Eric Hazan a écrit non pas un livre d’universitaire, mais un ouvrage d’amoureux. Son livre passionné est donc passionnant. Avec lui, nous circulons dans la capitale comme nous cheminons dans les œuvres. On y voit vivre Balzac et ses éditeurs, Balzac et ses créanciers. Il les a tous bernés par son talent, par sa capacité de travail. Quinze heures par jour à écrire. Cela occupe douze tomes dans la "Pléiade".
Le Paris de Balzac n’est pas plus réel que celui de Modiano. Et pourtant il existe, transfiguré, vivant. Il vibre sous nos pas, même si nous l’ignorons. C’est bien la force de cet amoureux de Paris de savoir communiquer une telle ferveur pour sa ville et pour ses habitants. Une balade historique et littéraire qui donne envie de flâner, de s’asseoir sur un banc et d’ouvrir au hasard un volume de La comédie humaine. Laurent Lemire