Après les années américaines, quand Roman Kacew, alias Romain Gary, écrivain français d'origine russo-polonaise, né à Vilnius en 1914, était consul général de France à Los Angeles, Kerwin Spire poursuit sa reconstitution avec les années 1960. Des débuts de l'idylle avec la jeune actrice américaine Jean Seberg (elle 21 ans, lui 46) − une relation passionnelle, volcanique, douloureuse et qui s'achèvera en drame, entre deux grands brûlés de l'existence, juste incapables de vivre, sans parler d'être heureux −, jusqu'à la mort du général de Gaulle, fin 1970. Un choc, un trauma, un de plus, dont il ne se remettra jamais.
Avec la disparition de l'homme du 18 juin, c'est toute une époque qui prenait fin, celle de la guerre, de la chevalerie des Français libres, dont Gary était si fier, ainsi que cette vision mystique de la France, qu'il partageait. « Gaulliste inconditionnel », Gary a dit un jour à Jean : « de Gaulle, c'est aussi l'homme de ma vie. » Sanglotant, pathétique, l'écrivain ancien combattant est venu assister aux obsèques de son grand homme, en tout petit comité, en hélicoptère et dans son vieux blouson d'aviateur désormais trop petit. Aux côtés de Malraux, peut-être son seul ami, pour qui il éprouvait une immense admiration. Mais Gary ne sera jamais Malraux.
Kerwin Spire, qui revendique pour son livre le genre fiction, mène son affaire avec énergie, chacun de ses courts chapitres, bien documentés, étant construit de manière journalistique (façon Paris Match), voire cinématographique. Ainsi la première séquence, le 21 décembre 1960, quand de Gaulle reçoit Gary à l'Élysée, dans l'intimité. On papote de l'Algérie, du jeune président Kennedy, à peine élu, avec qui Gary sympathisera peu après, du prix Nobel de Saint-John Perse, qu'il n'aimait pas. Et Gary refuse de reprendre du service au Quai d'Orsay. Il le regrettera plus tard, désœuvré, lorsqu'il avait tant de peine à écrire.
Car ces années soixante ne sont pas, du point de vue créatif, ses meilleures. Une pièce de théâtre, Johnnie Cœur, descendue par la critique et qui fait un four (1962), des livres médiocres, taillés pour le public américain plus que pour les lecteurs français, qui les boudent (comme La danse de Gengis Cohn, en 1967) et, surtout, un film, Les oiseaux vont mourir au Pérou, en 1967 également, un navet à la fois graveleux et prétentieux, où Gary, auteur, metteur en scène et réalisateur tyrannique, a tout conçu afin de donner enfin à Jean, dont la carrière battait de l'aile, un vrai grand premier rôle. Loupé ! Mais on peut y voir « le cri d'amour désespéré » d'un homme qui sait que la rupture est proche. Mariés en 1963 (leur fils Diego était né un an auparavant), ils divorceront en 1968.
On espère que Kerwin Spire va poursuivre son entreprise, car les années 1970, même si elles s'achèveront mal (Jean est morte mystérieusement en 1979, Gary s'est suicidé en 1980) furent celles d'Émile Ajar. Peut-être la plus belle réussite de l'écrivain Romain Gary.
Monsieur Romain Gary. Vol. 2. Écrivain-réalisateur. 108, rue du Bac, Paris VIIe, Babylone 32/93
Gallimard
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 19 € ; 350 p.
ISBN: 9782072997730