Devenir plante. Au travail, elle s'étire souvent sur son siège qui n'est guère ergonomique. Ce matin au réveil, elle trouve sa chaise à la cuisine très confortable, elle ne s'y est jamais sentie aussi bien installée : « [...] Je flotte à l'intérieur de moi-même, en équilibre au bord du monde. [...] Comment quitter cette paix intérieure ? » Impossible. Ses yeux sont fermés, sa bouche aussi. L'héroïne du nouveau roman de Karin Serres, Rose immobile, est littéralement clouée à sa chaise, au grand dam de son mari, William, qui voudrait qu'elle bouge. Leurs enfants Tom et Tim, quant à eux, jouent, insouciants. Lorsqu'il rentre, Will constate que Rose est dans le même état. Assise, en chemise de nuit, paupières closes, mutique. Il s'inquiète, appelle le médecin. Diagnostic : catatonie. Une sorte de paralysie psychosomatique. Mais si elle ne parle pas à ses proches, à sa sœur, à une amie d'enfance qui lui rendent visite, elle ne cesse de nous parler, à nous lecteur intrigué voire fasciné par ce récit de femme qui se transforme en plante - long monologue intérieur tout en observations fines et sensations ténues. Rose va éprouver, au-delà de l'incroyable confort d'assise que procure sa chaise, une solidarité organique avec ce siège.

Bientôt le personnage verdit, prend l'aspect rugueux du bois. Quand Will et les enfants la sortent, les oiseaux viennent se poser sur la « femme-chaise »... Jusqu'au jour où Will, ne sachant plus à quel saint se vouer, désespéré de ne pouvoir entrer en communication avec sa femme, la laisse aux mains de la science. Elle est transférée à l'hôpital.

La tension dramatique du livre de Karin Serres tient à l'atmosphère d'étrangeté magnétique plus qu'au classique suspense du mystère à résoudre - on réalise assez vite que la métamorphose est inéluctable, qu'il n'y aura pas de retournement de situation. L'inquiétude qui se distille au fil des pages est celle relative à la difficulté de Rose à transmettre son amour à son mari et à ses enfants malgré son carcan de silence. Rose immobile est-il une métaphore de la maladie incurable ? Du coma ? De la fin de la vie ? De son cycle ? Femme de théâtre, romancière, autrice de fiction pour la jeunesse, Karin Serres conserve chaque fois cette manière d'écriture souple, imagée, exhalant un parfum fantastique, qui, sous des airs de conte, soulève des questions profondes- comme des vérités dites avec la gravité des enfants.