Juridique

Justice : Un président devrait-il serrer toutes les mains ?

Nicolas Sarkozy au palais de justice de Paris le 6 janvier 2025 lors du procès sur le soupçon de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 - Photo Stéphane Lemouton - Hans Lucas via AFP

Justice : Un président devrait-il serrer toutes les mains ?

Le très médiatique procès des soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy est l’occasion pour notre chroniqueuse de rappeler pourquoi le législateur a décidé d’interdire de photographier et filmer les audiences.

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Par Laure Heinich
Créé le 22.01.2025 à 10h11

Il n’y a pas d’images judiciaires. La loi proscrit les flashes à l’intérieur, les cantonnant à l’extérieur. C’est l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui, espérant garantir la sérénité des débats, pose cette interdiction. Il existe bien sûr quelques exceptions, c’est le propre des lois, des autorisations résiduelles pour des procès médiatiques, des procès historiques, des débats pédagogiques.

Téléphone blanc

Au tribunal judiciaire de Paris, la police se charge de vérifier l’extinction des téléphones par le public qui souhaite assister à une audience. Il ne suffit pas de présenter son sac ouvert comme au théâtre, il faut montrer téléphone blanc. L’audience est publique mais « l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit ». Le dessin retrouve une place à nulle autre pareille, peinture, gouache, fusain, les prévenus ne seront pas photographiés mais croqués. Les dessinateurs judiciaires seront les seuls à pouvoir capter les scènes de prétoires et illustrer les articles de presse. C’est peut-être de cette façon que l’on conserve une image de la justice en dehors du temps.

La photo choc ou l’ardente vidéo ne peut donc que précéder ou suivre le procès. L’ancien président Nicolas Sarkozy l’a bien compris, lui qui doit comparaitre devant une juridiction pour des faits lui faisant encourir une peine de dix ans d’emprisonnement, arrive tout sourire au tribunal, serre les mains des policiers les unes après les autres, ils sont nombreux, arme de poing et grosse matraque, à être positionnés pour assurer, manu militari, une drôle de sérénité. Si Nicolas Sarkozy a été le président de tout le monde, il reste probablement avant tout pour ces forces de l’ordre, leur ministre de tutelle de cœur.

Ils ont dû vénérer Gérald Darmanin aussi. Une main, deux mains, dix mains, les journalistes se pressent, se poussent, les cliquetis bruissent, ils ont 30 secondes pour prendre une photo qui fera la différence, une photo qui dit quelque chose. On pense à cette phrase de David Lynch qui circule : « Je ne vois pas pourquoi les gens attendent d’une œuvre d’art qu’elle veuille dire quelque chose alors qu’ils acceptent que leurs vies à eux ne rime à rien. » La photo montrera un homme confiant mais aucune image, peinte ou pas, n’a jamais sondé les cœurs.

Puis le Président disparaît tel une star qui entre dans sa loge laissant les groupies derrière. Il ne devrait pas trouver de groupies à l’intérieur, ici on juge. On prétend juger tous les hommes de la même manière, autant qu’ils naissent et demeurent libres et égaux en droit. Une fois dans l’enceinte, personne ne l’appelle plus Monsieur le Président. La présidente le fait venir à la barre, elle dit vous êtes bien monsieur Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa ? Elle n’insiste pas beaucoup sur la forme interrogative. L’Huissier n’avait pas réussi à dire le nom entier sans buter. Avait-il voté pour un président qui s’appelait vraiment comme ça ?

Rapport de droit

La présidente poursuit l’identité : « Êtes-vous marié ? » Il sourit, elle sourit mais elle attend. Elle a bien dû entendre parler de Carla Bruni et même que c’était du sérieux mais elle doit l’entendre de sa bouche à lui, il répond oui. « Êtes-vous de nationalité française ? » Cette fois, il ne sourit pas, il a été le Français par excellence, son représentant, il n’aurait pas pu être qui il a été s’il n’avait pas été français bien sûr. Alors il ne répond pas. Alors elle attend. Alors il sourit. Alors elle aussi. Il y a du rapport de force dans cet anodin.  Est-ce qu’il cède ou est-ce que ce n’est rien, il répond « oui madame la présidente ». C’est elle qui se tient sur l’estrade, c’est elle qui porte une robe noire, c’est elle qui dirige la police de l’audience, c’est elle la présidente. Il peut s’asseoir maintenant.

Silence intérieur, tribune extérieure

Les autres prévenus s’avancent, parlent chacun dans un silence religieux, puis c’est de nouveau le tour de Nicolas Sarkozy. La salle émet un fond sonore, des cliquetis qui ne sont pas ceux de flashs, les chroniqueurs judiciaires tapent sur leur clavier d’ordinateur en temps réel, pas un mot ne leur échappera, c’est leur photo à eux, avec leur patte à eux. Certains l’auront trouvé bon, convaincant, sincère, d’autres tout le contraire. Mais tous comprennent que le discours s’adresse prioritairement à eux, les journalistes, donc à l’extérieur, « aux Français » comme disent les hommes politiques. Alors il y a les punchlines répétées, martelées, jusqu’à devenir des mots comme des images.

La loi de 1881 a définitivement raison, avec une photo, ça ferait trop.

Laure Heinich

Olivier Dion - Laure Heinich

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