L'une, c'est Alice. L'autre, Cécile. Naviguant dans le no man's land de la quarantaine, elles se souviennent d'un temps où leur amitié promettait de les figer à jamais dans l'adolescence. Elles se sont perdues sans trop savoir pourquoi, peu à peu, sans éclats véritables, peut-être juste faute d'avoir su donner un nom à ce qui les unissait vraiment. Elles ont grandi sous Mitterrand et vieilli sous Chirac ; la belle affaire.
Cécile et Alice sont Les séparées, héroïnes du troisième roman de Kéthévane Davrichewy, le deuxième à l'enseigne de Sabine Wespieser après le très beau La mer Noire (prix Version Femina-Virgin Megastore 2010). Au début du livre, Alice vient de divorcer, Cécile est plongée dans le coma à la suite d'un accident de voiture. Les deux déroulent comme elles le peuvent le fil de leur amitié de trente ans et de ce qu'elles ont partagé : plus ou moins, des frères, des amants, des parents, des maisons de vacances, des voyages, la sensation de l'élasticité du temps. Deux vies s'écoulent, l'air de rien, accompagnées par des films, des événements, et surtout des chansons qui sont comme autant de signes, de mythologies portatives, d'objets transitionnels pour oublier que le soir tombe... Croisant les points de vue de ses deux narratrices (et révélant ainsi comment se creusent les fossés), Kéthévane Davrichewy compose une sonate pour l'amour - car c'est bien de cela qu'il s'agit - en allé. On songe, à suivre l'éducation sentimentale joliment ratée de ces deux gamines, au film si tendre de Martine Dugowson, Mina Tannenbaum. Avec quelque chose de plus âpre, d'un rien déplaisant, quelque chose de fort délicatement décrit et écrit, et qui doit s'appeler le temps qui passe.