En huit ans, une trentaine de livres sont déjà parus dans la belle collection bâtie de concert par Futuropolis et le musée du Louvre. Celle-ci a donné l'occasion à des auteurs reconnus de bande dessinée d'imaginer un album à partir des collections de l'établissement. De Marc-Antoine Mathieu, Nicolas de Crécy et Enki Bilal à Étienne Davodeau ou Jirō Taniguchi, la plupart ont investi les couloirs et les salles du musée et revisité ses œuvres en y projetant leur fantaisie et leur imaginaire. Coutumière du pas de côté et des angles décalés depuis La jeune fille et le nègre (Actes Sud/L'an 2, 2008-2009) et David, les femmes et la mort (Le Lombard, 2012), Judith Vanistendael entraîne quant à elle ses lecteurs très loin des berges de la Seine. Inspirée par l'art cycladique, elle les transporte sur le territoire qui lui a donné naissance, en l'occurrence l'archipel grec des Cyclades, pour en démonter les ressorts géologiques et culturels.

Sur l'île de Kéa, aux confins nord des Cyclades, au 3^e millénaire avant J.-C., Atan est un jeune passionné de poterie et de modelage. Il est doué et imaginatif, si bien que son père le place à Naxos, l'île principale de l'archipel et aussi la plus renommée pour son activité artistique, chez maître Dario, un sculpteur de pierres. Celui-ci va apprendre au jeune homme son métier, jusqu'à ce qu'il puisse s'y épanouir par lui-même, dans un processus de transmission qui semble inscrit naturellement dans la succession immuable des millénaires.

Atan des Cyclades n'est cependant pas seulement un roman d'initiation. Répondant à la fluidité des gestes du sculpteur par la fluidité des formes de son album, dans lequel les scènes aux lignes claires s'enchaînent sans la contrainte des cases, Judith Vanistendael embrasse dans le même mouvement tout l'esprit du lieu et de son expression artistique. Elle en dévoile son cœur de pierres, ces cailloux qui parsèment les montagnes de l'île et qu'il faut aller cueillir avec soin pour en tirer le meilleur. Elle propose aussi bien un manuel de technique artistique qu'une contribution à l'histoire de l'art ou un guide touristique. Au rythme des caïques qui relient les îles entre elles et les savoirs entre eux, au son des harpes et des tambourins, au milieu des chèvres, des ânes et des chiens, parmi les bergers et les pêcheurs, elle saisit les conditions et les mécanismes de toute création.