Sang pour sang. Après son excellente série postapocalyptique Le reste du monde parue entre 2015 et 2019 (Casterman), Jean-Christophe Chauzy a vu sa propre vie bouleversée par une catastrophe, intime celle-là. En avril 2020, il apprend qu'il est atteint d'une myélofibrose, une grave maladie du sang. Moelle épinière asséchée, formule sanguine complètement détraquée, plus de plaquettes, plus de défenses immunitaires... la seule solution est une greffe de moelle osseuse. Dans son malheur, il a une chance : sa sœur est compatible, elle sera sa donneuse. S'ensuivent de longs mois d'hospitalisation en chambre stérile, et des traitements épuisants, douloureux.

La maladie est une matière complexe à retranscrire en bande dessinée. Comment exprimer l'angoisse profonde et la douleur sans apitoiement ? Comment expliquer la pathologie et les thérapies avec simplicité et en intéressant le lecteur ? Comment rendre universelle une expérience aussi personnelle ? Comment en tirer une véritable histoire en restant honnête ? Jean-Christophe Chauzy, reconnaissant « la fonction d'exutoire » du projet, y a mis tout son talent narratif, réussissant là où beaucoup échouent. Dans des pages en lavis noir, il raconte l'imagination qui galope, l'anxiété qui le submerge, les interrogations sur la mort et la transmission, la culpabilité envers sa conjointe, pour qui il se sent une charge, et sa sœur, qui a en quelque sorte la responsabilité de sa survie... À ces réflexions existentielles il mêle habilement les explications sur sa pathologie et sur l'efficace prise en charge médicale. Avec verve et recul, il rend compte des aspects les plus triviaux de son quotidien morose et revient sans fard sur les conséquences physiques de la maladie. Se dessinant sous des traits tantôt réalistes, tantôt plus caricaturaux, il délaisse l'encre noire et passe à la couleur rouge sang pour représenter ce corps qui lui échappe et qu'il implore de lui obéir. Il met en page toutes ces sensations et pensées intenses avec un dynamisme constant, alternant les planches au découpage classique et d'autres à la liberté folle, oniriques ou cauchemardesques.

Au-delà de cette introspection d'une grande justesse, du précieux témoignage, de l'hommage plein d'humilité à tous ceux qui ont aidé, soigné, motivé, Sang neuf est une œuvre d'une immense force, vitale.