Les femmes d'à côté. Dans ses deux précédents romans graphiques (La roche au tambour et Ermite, Atrabile, 2013 et 2014), l'autrice allemande Marijpol explorait la nature humaine à travers les protagonistes d'univers proches du nôtre mais où le fantastique faisait des incursions étonnantes. Une marque de fabrique que l'on retrouve aujourd'hui dans l'ambitieux et abouti La harde.

Petra, Denise et Ulla, probablement la quarantaine, vivent en colocation dans une ville légèrement futuriste. Petra, dotée d'une incroyable musculature, est une championne de culturisme. Denise est une femme serpent, prof de yoga, qui vend d'étranges cosmétiques à base de venin pour arrondir ses fins de mois. Ulla, archéologue, est une géante dont le compagnon, Herrmann, arbore une tête d'extraterrestre. Très soudées, ces trois femmes au physique singulier mènent leur vie comme elles l'entendent, essayant de faire fi du regard parfois dérangeant des autres. Leurs existences plutôt tranquilles et leurs certitudes vont être bouleversées quand elles rencontrent trois jeunes enfants du voisinage, livrés à eux-mêmes par une mère partie pour un mystérieux voyage.

Marijpol brosse des personnages attachants qui, passée la circonspection initiale, vont s'apprivoiser mutuellement. Elle porte sur eux un regard pudique et délicat, adouci par la suave monochromie violette de son trait. Pour faire ressortir leur humanité, l'autrice dose avec habileté l'équilibre entre le plausible et le fantastique. Ainsi, les problématiques auxquelles les trois femmes sont confrontées - les réactions suscitées par leur apparence, le stress de devoir prendre en charge des enfants, leurs questionnements sur leurs choix de vie... − sont contrebalancées par des scènes absurdes et loufoques et par le côté mignon des enfants qui tentent de s'en sortir avec sagesse et débrouillardise.

Grâce à l'inventivité et au dynamisme de son dessin, l'autrice représente aussi joyeusement les corps, sans fausse pudeur, que cet univers à la fantaisie assumée, véritable cabinet de curiosités empruntant à la pop culture et à la culture classique du monde entier. Tout en menant allègrement son récit, Marijpol parle de la sororité, de la maternité, du corps, de la différence et de la normalité, de la féminité, du vieillissement, du lien filial... loin de tout militantisme ou de toute naïveté, avec un optimisme rafraîchissant.