Avant-critique Essai

Jean Vitaux, "Une histoire de l'ergot de seigle : du mal des ardents au LSD" (Puf)

Jean Vitaux - Photo © DR/PUF

Jean Vitaux, "Une histoire de l'ergot de seigle : du mal des ardents au LSD" (Puf)

Dans un remarquable ouvrage scientifique et historique, Jean Vitaux présente les dévastations de l'ergot de seigle, dont le LSD est un dérivé.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 25.05.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 01.06.2023 à 16h56

Fatale farine. À en croire les chroniqueurs médiévaux, on voyait les membres de ceux qui étaient touchés par cette gangrène sèche noircir et tomber comme des fruits pourris. D'autres avaient des hallucinations et s'agitaient sans fin dans des danses de Saint-Guy. Tout cela à cause d'un champignon. Il a tué des millions d'êtres humains au cours des siècles et il est d'autant plus insidieux qu'il s'est introduit dans les organismes via un des aliments les plus courants : le pain. Mais pas n'importe lequel : le pain noir, celui des pauvres. Ce parasite, c'est l'ergot de seigle. Son ingestion provoque des maladies qui dégénèrent en nécrose, en convulsions et en fausses couches. Au Moyen Âge, on appelait ce syndrome le "mal des ardents" ou "feu de Saint-Antoine", une manière de mettre en évidence sa puissance dévastatrice que l'on attribuait à la colère divine. Il a suscité la création de l'ordre monastique des Antonins car une relique de saint Antoine ermite, à ne pas confondre avec celui de Padoue, avait la réputation de guérir de cette maladie. Il fallut la gangrène de 1709 en Sologne - étymologiquement le "pays du seigle" - et ses 8 000 à 12 000 morts pour que l'on identifie les caractéristiques de cette pathologie, et un siècle de plus pour qu'on l'attribue à un champignon. En 1938, ses principes actifs sont synthétisés dans une drogue particulièrement puissante aussi appréciée des pharmaciens que des hippies : le LSD.

Médecin gastro-entérologue, Jean Vitaux déroule cette histoire hallucinante avec précision. Auteur des Grandes pandémies de l'histoire (Archipoche, 2021), d'une Histoire de la lèpre (Que sais-je ?, 2020) et d'une Histoire de la peste (PUF, 2010), il est familier de ces épidémies. Mais celle de l'ergotisme, par ses effets psychoactifs, a ceci de particulier qu'elle renvoie à de nombreux mystères, dont ceux d'Éleusis dans la Grèce antique, tout comme à la sorcellerie. Ceux qui en sont atteints entament parfois des gigues endiablées qui font penser aux sabbats. Ce fut le cas à Strasbourg en 1518, épisode qui inspira Jean Teulé pour son roman Entrez dans la danse (Julliard, 2018).

Cette farine fatale expliquerait aussi l'exceptionnelle mortalité de la peste noire en 1348 et aurait joué un rôle dans différentes affaires, des sorcières de Salem (1692) à la Grande Peur (1789), sans oublier les possédées de Morzine en Savoie entre 1857 et 1873 ou plus récemment l'affaire du pain maudit de Pont-Saint-Esprit, dans le Gard en 1951. Cette mycotoxicose - empoisonnement par champignons - n'a pas totalement disparu. Elle demeure néanmoins très rare. D'abord parce que l'on identifie désormais la source. Ensuite, parce que des traitements appropriés sont proposés. Tout comme l'ivraie, cette mauvaise graine appelée aussi "zizanie" et qu'il ne fallait pas semer, l'ergot de seigle devait être trié. Mais en période de disette ou de crises frumentaires, il était incorporé aux pains de misère. Avec des conséquences qui ont inspiré bien des peintres et des écrivains.

Jean Vitaux
Une histoire de l'ergot de seigle : du mal des ardents au LSD
PUF
Tirage: 1 000 ex.
Prix: 12 € ; 150 p.
ISBN: 9782130842835

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