DNP a accepté cette visite sur la requête de l’éditeur Shogakukan, un de ses clients importants, partenaire de longue date de Glénat. Chaque imprimeur dispose de son savoir faire, qui lui permet éventuellement de se différencier de ses concurrents alors qu’il dispose du même matériel, et il arrive aussi qu’un ouvrage sensible suscite une curiosité impatiente lorsqu’il s’agit d’un document politique. Mais on ne verra dans ces usines à livres plus un principe rigoureusement appliqué qu’une révélation quelconque. Et aucune illustration des activités de DNP ne traîne sur Internet. Avant de partir, une photo de groupe cadrée serrée devant l’entrée sera quand même autorisée.
L'usine Kuki
L’usine Kuki fabrique notamment ces épais magazines de manga, de 500 à 600 pages, imprimés à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires sur du papier journal très bouffant, ce qui leur donne encore plus de consistance car c’est l’objectif : à 300 yen (environ 2,40 euros) il faut que le lecteur ait l’impression d’en avoir pour son argent. Les séries y sont présentées en prépublication, et celles qui sont plébiscitées seront reprises en volumes.
Shogakukan fait imprimer notamment dans cette usine Shonen Sunday, où Rumiko Takahashi, distinguée cette année du grand prix du festival d’Angoulême, a publié Ranma ½ à la fin des années 1980. Tiré tiré à 300 000 exemplaires chaque semaine, plutôt pour les filles, Shonen Sunday apparaît presque modeste par rapport au 1,7 million d’exemplaires de Shonen Jump (pré-publication de Dragon Ball, One Piece, Naruto, etc.) édité par Sh?eisha, qui fait partie du même conglomérat et qui a fêté ses 50 ans l’an dernier.
Plaques en résine
Ces best sellers sont imprimés sont des presses rotatives typographiques dont les plaques de résine sur lesquelles figurent les pages à produire sont plus résistantes que les plaques offset. Cette technologie ancienne reste ainsi bien adaptée aux très grands tirages. DNP utilise notamment une impressionnante rotative Mitsubishi, installée depuis 30 ans, qui crache les cahiers de mangas à plusieurs milliers d’exemplaires à l’heure dans un bruit assourdissant, ponctué de ritournelles sortant de haut-parleur qui dominent ce vacarme, indiquant les phases de démarrage ou d’arrêt.
L’imprimerie spécialisée dans les mangas, les magazines et les catalogues compte notamment neuf chaînes de fabrication typographiques, 36 chaînes offset, tourne en permanence et emploie 1000 personnes, réparties en trois équipes.
L'imprimerie Dai Nippon 2
A 20 minutes de route, l’imprimerie Dai Nippon 2, à Shiraoka, emploie 450 personnes, est uniquement équipée de presses offset et fabrique surtout du livre de poche (littérature et manga) et des magazines, à raison d’environ 6 millions d’exemplaires par mois. En 2013, les éditeurs japonais ont mis 1,1 milliard de volumes en distribution, et ont produit 2.8 milliards d’exemplaires de magazines.
En dépit de la concurrence potentielle des imprimeurs chinois tout proches, « les éditeurs japonais sont fidèles à leurs imprimeurs, au contraire des Européens » souligne Seichi Suzuki, responsable du développement global de la branche édition et média de DNP. Fondé en 1976, le groupe, 2e du secteur de l’imprimerie au Japon, emploie 39 000 personnes, réalise 11,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et s'est diversifié dans l’emballage, les matériaux de construction, les produits électroniques, les composants photovoltaïques, etc.
Le centre logistique de Tohan
Car à côté de quelques records (Murakami tiré à plus d’un million d’exemplaires en 2013), les tirages moyens ne cessent de baisser, et les retours restent considérables, supérieurs à 30%. Implanté à 45 minutes de route de Fuki, un centre logistiques de Tohan, l’un des deux grands distributeurs qui dominent le marché, traite des réassorts et des retours. Lorsqu'ils commandent avant 11 heures du matin, les libraires clients de Tohan situés dans la région de Tokyo sont livrés le lendemain. Là aussi, les photos sont interdites dans ce bâtiment où travaillent 1300 personnes en journée, et 300 la nuit.
L’organisation mêle un travail très automatisé comme dans tous les centres logistiques du livre, notamment pour les réassorts concernant les 1200 librairies sous contrat, et les retours (de volumes reliés en majorité), et un traitement presque artisanal pour les livres de faible rotation, pour les libraires hors contrat, ou encore au détail pour les commandes de clients expédiées directement à leur adresse. Lors du tremblement de terre de 2011, le bâtiment a tenu bon mais les 2 millions livres sur étagères de l’entrepôt de faible rotation ont tous fini par terre et l’ensemble du centre était privé d’électricité. Depuis, il est équipé de groupes électrogènes.