Drôle de guerre. Peu connu en France, Gerrit Kouwenaar (1923-2014) est considéré comme l'un des plus grands écrivains néerlandais modernes. Proche de la branche hollandaise de CoBrA, il fut journaliste, dessinateur, poète et romancier. Il a aussi traduit dans sa langue des auteurs allemands, américains et français. Un certain nombre de passages de Tombe, bombe ! sont d'ailleurs écrits en français, et l'un de ses personnages, l'oncle Robert, met un point d'honneur à ce que son neveu, Karel Ruis, le narrateur, apprenne la langue française, considérée par lui comme la plus importante au monde. Cela au début de la Seconde Guerre mondiale, alors que les Pays-Bas viennent d'être envahis par les Allemands, le 10 mai 1940. Ils seront ensuite bombardés, capituleront quelques jours plus tard et se verront occupés jusqu'en 1945.
Au moment où commence Tombe, bombe !, la guerre est à peine déclarée. Tout, dans la ville où vit Karel, jamais nommée, sans doute Amsterdam, est encore calme. Mais on pressent le drame imminent, et cela tape sur les nerfs de l'adolescent de 17 ans, en proie à ses premiers émois sensuels. Il rêve que le monde se plie à sa volonté. Aussi, lorsqu'il souhaite que les combats éclatent enfin, que tombent les premières bombes, et qu'il se voit exaucé, nourrit-il un sentiment plus qu'ambivalent, de jouissance et de culpabilité (même s'il a rêvé également d'éliminer Hitler). Il confie ses états d'âme à la première personne dans ce bref roman de Gerrit Kouwenaar, paru en 1950 et sans doute un peu autobiographique : l'écrivain avait le même âge que son héros.
Les pensées de Karel sont contradictoires, ainsi à l'égard de sa famille, bourgeoise sans histoire, qui continue sa petite vie, du moins au début. Vers la fin, alors que Karel se trouve à une quarantaine de kilomètres de chez lui, sa ville est bombardée, des milliers de gens sont morts. Peut-être les siens. On ne le saura pas, et il prend cela avec un certain détachement. Comme il prend aussi la mort de son oncle, à qui il est venu apporter une lettre de sa maîtresse secrète, madame Mexocos, une Juive aguicheuse partie pour l'Angleterre par l'un des derniers bateaux avec sa fille, laquelle ne laissait pas l'adolescent indifférent.
Des destinées de tous ces personnages, on ne saura rien de plus. Le livre se termine abruptement, sur un clin d'œil, avec une patrouille de soldats allemands qui ne font aucun mal à Karel. Il en est quitte pour la peur de sa vie. Tombe, bombe ! est une véritable découverte littéraire, un petit bijou d'une grande justesse psychologique et d'une absolue modernité.
Tombe, bombe !
Robert Laffont
Traduit du néerlandais par Marie Hooghe
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 9 € ; 144 p.
ISBN: 9782221283462
