Toute cette histoire commence à Paris, en 1912, sur les bancs du lycée Chaptal. Trois adolescents, nés en 1895 ou 1896, se lient d'une amitié fondée sur des goûts (et des dégoûts) littéraires communs, un esprit frondeur et potache et puis, plus sérieusement, l'envie de faire quelque chose, de se forger un destin. C'est manifeste chez l'un d'entre eux, André Breton, qui deviendra ce que l'on sait ; également chez René Hilsum, futur libraire de la revue surréaliste Littérature, éditeur de la maison Au Sans Pareil (qui finira rachetée par Gallimard), militant communiste convaincu et impavide, ce qui l'amènera à la rupture avec ses compagnons de jeunesse. C'est bien moins flagrant chez Théodore Fraenkel, plus rebelle, plus blagueur, plus « déconstructeur » que les deux autres.
Fraenkel aurait pu se faire un nom comme tous ses amis. Il participa à l'aventure surréaliste jusqu'à sa rupture violente et douloureuse avec Breton en 1934. Ses intimes s'appelaient Tristan Tzara, Robert Desnos, André Masson, Michel Leiris ou Georges Bataille (son beau-frère), entre autres. Et il se trouva jusqu'à sa mort en 1964 au cœur de toutes les guerres et les luttes de son époque, les armes à la main (14-18, guerre d'Espagne, escadrille Normandie-Niémen en 1945, dénonciation de la guerre en Algérie dans le Manifeste des 121). C'est sur ce personnage que l'écrivain Gérard Guégan, ancien éditeur, a choisi de mener l'enquête.
À travers des documents inédits, les témoignages des dernières personnes à l'avoir connu (son neveu Jacques, notamment), les quelque 142 lettres qu'André Breton lui a adressées de 1912 à 1920 (ses réponses à lui, hélas, ont été brûlées par sa femme Bianca), Guégan reconstitue l'itinéraire d'un homme exceptionnel, un vrai héros, aussi passionnant que mystérieux. Qu'il l'ait voulu lui-même (en se faisant enterrer, seul et anonyme, dans la fosse commune du cimetière de Thiais, par exemple), ou que le sort s'en soit chargé, le docteur Fraenkel, juif russe devenu Français, décoré de la Légion d'honneur et colonel d'aviation, ne figure jamais au centre de la photo, en pleine lumière. L'ombre convenait mieux, sans doute, à cet esprit libre, droit, progressiste, ennemi de tous les dogmes. Il n'a guère écrit, ou ses manuscrits sont perdus. On peut juste lire ses Carnets V et VI, sur la période 1916-1918, publiés en 1990 par les Éditions des Cendres. Ça ne s'invente pas. Fraenkel aurait adoré.
Fraenkel, un éclair dans la nuit
Éditions de l’Olivier
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 € ; 250 p.
ISBN: 9782823615128