Le lendemain du oui au référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les champions du Brexit semblaient totalement pris de court, c’était comme s’ils n’avaient pas prévu de gagner. Dans La place forte, premier roman de Quentin Lafay, les dirigeants de ce côté-ci de la Manche préparent le même coup mais n’entendent pas être pris au dépourvu. Une fois le Frexit approuvé, puisque "71,8 % des Français pensent que nos problèmes viennent de la monnaie unique", selon les conseillers du Président de cette politique-fiction qui n’est, prévient en incipit l’auteur, "en aucun cas un roman à clef", Béranger Thérice est nommé, à la surprise générale - la sienne comprise -, à la tête de Bercy mais reste moins d’une semaine en poste. Le narrateur de La place forte raconte les six jours d’une carrière abrégée. "Le meilleur économiste de France" réputé pour la rigueur de ses analyses croit être appelé pour sa sobriété budgétaire. Enfin un ministre de l’Economie, se félicitent d’aucuns, qui va redresser les comptes publics et respecter le critère des 3 % édicté par le pacte de stabilité ! A peine emménagé dans son bureau tapissé d’articles sur son narcissique prédécesseur Christian T., il reçoit un appel d’Augustin V., le secrétaire général de l’Elysée : "Etudiez les moyens techniques de sortir la France de la zone euro." Quoi ! ? Ce n’était pas dans le contrat, s’offusque le jeune ministre. Les ordres, c’est les ordres, et ils viennent toujours d’en haut. Vraiment ? Le Président n’est-il pas manipulé ? Jugé "trop distant et trop mondain" par les élus qu’il traite par ailleurs de "bouseux", Augustin V. se révèle un sournois marionnettiste, entre Talleyrand et Raspoutine.

Politiciens cyniques hors sol, vie personnelle impossible, collusion inévitable… Ce n’est pas un roman à clef, non, mais à digicode, dont seul ce primo-romancier, un ancien de Bercy, connaît la combinaison des chiffres. Une anatomie des hautes sphères du pouvoir sous forme de sottie, plutôt réussie. Sean J. Rose