Depuis la publication de Yoga d’Emmanuel Carrère (P.O.L., 27 août), meilleure vente de roman de cette rentrée littéraire, les journalistes s’interrogent sur une "ellipse narrative", celle de l’absence des raisons immédiates de la dépression de l’auteur : sa double rupture avec sa femme et sa maîtresse. La réponse tient dans l’existence de cet accord. Il a été dévoilé dans la matinée du mardi 29 septembre par Hélène Devynck, l’ex-compagne de l’écrivain, dans un droit de réponse explosif publié sur le site internet de Vanity Fair.
Modifications
"Emmanuel et moi sommes liés par un contrat qui l’oblige à obtenir mon consentement pour m’utiliser dans son œuvre. Je n’ai pas consenti au texte tel qu’il est paru", écrit-elle. Au cours de leur union, l’auteur pouvait écrire sur Hélène Devynck. Leur divorce, en mars dernier, a "rebattu les cartes". "Il en a convenu et l’a matérialisé dans un engagement mûrement réfléchi : je pouvais être assurée que je ne serai plus écrite par lui contre mon gré pendant toute la durée de sa propriété littéraire et artistique. Pendant qu’il négociait, il me cachait qu’il me tirait le portrait", poursuit-elle.
L’ayant effectivement mentionnée dans la première version de Yoga, Emmanuel Carrère aurait "tout de suite envoyé l’intégralité du manuscrit" à son ex-compagne, selon Frédéric Boyer. Auraient ensuite suivi des discussions, "pendant deux mois, pour essayer de trouver un accord". Pour s’assurer de respecter les clauses de l’accord liant Emmanuel Carrère et Hélène Devynck, "on a demandé les conseils d’un avocat, ce qui n’est pas exceptionnel", explique Frédéric Boyer.
"Emmanuel [Carrère] a travaillé, réfléchit et trouvé une solution. Tout le livre a été repensé sur la base de cette contrainte et sur cette impossibilité qu’il avait de dire ce qu’il avait dire. Globalement, il a accepté toutes les modifications proposées par Hélène Devynck", assure l'éditeur. Ceci explique les changements de calendrier liés à la date de publication de Yoga. Initialement prévu le 10 septembre, la publication de l’ouvrage avait été repoussée à 2021 avant d’être, quelques jours plus tard, de nouveau programmée pour septembre (il a ensuite été avancé au 27 août).
"Discussions difficiles"
Reste toutefois une mention à Hélène Devynck. Une citation extraite de D’autres vies que la mienne (P.O.L., 2009) présente à la fin de l’ouvrage. "Malheureusement, en dépit de mon refus, de notre contrat, des avocats, des mois de conflit, je figure encore, de manière résiduelle, dans les premières impressions de l’ouvrage. Pour me forcer à rester dans ce livre, Emmanuel a eu recours à une ruse grossière : une anormalement longue citation d’un ouvrage antérieur à notre contrat, assortie d’un commentaire que je refuse depuis le mois de mars et que l’éditeur m’avait assuré avoir supprimé", regrette Hélène Devynck. Pour l’éditeur, cette citation est "d’ordre public" puisqu’elle provient d’un titre "paru depuis longtemps". D’autant plus que l’ex-compagne de l’auteur est mentionnée "sans son patronyme".
S’il reconnaît des discussions difficiles entre les deux anciens conjoints, Frédéric Boyer réfute les accusations de mensonges proférées par Hélène Devynck. "L’éditeur n’a pas hésité à mentir, m’assurant que ni notre fille ni moi ne figurions plus dans la version définitive, ce qui est faux, menaçant d’engager des poursuites à mon encontre si je saisissais la justice", écrit-elle. "J’ai dit à Hélène Devynck qu’elle n’apparaissait pas dans le livre. Je n’ai pas menti. Et je ne l’ai jamais menacée de poursuites, réagit Frédéric Boyer. Tout ce que j’ai pu dire, c’était qu’il ne fallait pas que les demandes deviennent excessives sans objet".