On le sait, la science est une affaire collective. D'ailleurs, depuis le milieu du XXe siècle, on parle de communauté scientifique pour bien insister sur l'idée de groupe social et de coopération entre ses membres. Derrière chaque prix Nobel, il y a une cohorte de petites mains, laborantins, expérimentateurs, thésards, etc. Qui sont-ils ? Comment considèrent-ils leur rôle, leur statut au sein de cette vaste société où la visibilité de quelques-uns augmente l'invisibilité des autres ? Françoise Waquet, directrice de recherche au CNRS, a longuement enquêté sur ces personnes pour nous offrir une vision plus complète de cet iceberg savant dont n'émergent que quelques têtes d'affiche. Avec ce nouveau livre, l'historienne poursuit ses travaux d'exploration de la planète des sciences (L'ordre matériel du savoir en 2015 et Une histoire émotionnelle du savoir en 2019, tous deux réédités dans la collection « Biblis » au même office chez CNRS éditions). Elle achève également un cycle qui permet d'appréhender cet univers dans sa diversité.
Elle montre surtout qu'on aurait tort de croire que ces petites mains ne seraient apparues qu'à la fin du XIXe siècle, au temps de Pierre et Marie Curie et de Pasteur qui déplorait la misère de la science française. Elle a retrouvé des documents datant du XVIIe siècle sur les assistants du physicien et chimiste irlandais Robert Boyle. Elle révèle aussi la porosité entre la sphère académique et la sphère domestique en rappelant que Marie-Anne Paulze collabora aux expériences de chimie lorsqu'elle devint Mme Lavoisier.
« La société du savoir apparaît comme une société restreinte, une aristocratie sans peuple. » Pour faire surgir ce peuple hétérogène mais constant, Françoise Waquet a fouillé dans un immense massif biographique d'où surgissent les « oubliés de l'histoire du monde savant » dont beaucoup d'oubliées. Ces petites mains ou ces subalternes font depuis quelques années déjà l'objet d'un champ d'études particulier aux États-Unis, les subaltern studies. Françoise Waquet s'inscrit dans cette démarche, sans vouloir pour autant faire tomber les savants de leur piédestal. Il s'agit plutôt, par de nombreux exemples et témoignages, du XVIIe siècle à nos jours, de redonner la parole à ces « techniciens invisibles » et montrer ceux et celles qui ont œuvré à l'édification des statues. C'est, finalement, une histoire plus complète des sciences qui émerge de cette population et de son évolution durant quatre siècles.
Cette enquête minutieuse, très savante pour le coup, révèle les coulisses de la science et la vie quotidienne de la recherche. Cela nous rappelle d'une certaine façon l'émergence, lors du premier confinement, de bien d'autres « invisibles » pour faire fonctionner notre système de santé, de propreté, d'alimentation, etc. Ces coulisses de la science finement décrites prouvent que la recherche est aussi à bien des égards un spectacle dont il ne faudrait pas oublier la troupe qui met en lumière les premiers rôles.
Dans les coulisses de la science. Techniciens, petites mains et autres travailleurs invisibles
CNRS Éditions
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 25 € ; 352 p.
ISBN: 9782271135490