Entretien

Françoise Nyssen : « J'étais prête à démissionner à cause de la CSG »

Membre du directoire du grouoe Actes Sud - Françoise Nyssen - Actes Sud - Photo Olivier Dion

Françoise Nyssen : « J'étais prête à démissionner à cause de la CSG »

Sept mois après son départ du ministère de la Culture, et quelques jours avant la parution, le 5 juin, de son témoignage Plaisir et nécessité (Stock), Françoise Nyssen revient sur ses dix-sept mois au pouvoir, évoquant ses victoires et ses regrets. Un entretien qui sera publié dans Livres Hebdo vendredi 31 mai. _ par Pauline Leduc

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Par Pauline Leduc
Créé le 31.05.2019 à 10h37

Livres Hebdo : A quoi vous consacrez-vous désormais ?

Françoise Nyssen : Je m'implique dans plein de choses différentes comme je l'ai toujours fait. Je suis de nouveau dans la joie d'être avec ma famille dans tous les sens du terme. Avec les auteurs, les équipes d'Actes Sud à Paris comme à Arles. Là-bas, j'ai retrouvé la vie culturelle que nous menons depuis que nous y sommes installés. Et les prolongements de l'écosystème que nous y avons créé : l'école et ce lieu agricole où nous avons déployé l'Université du Domaine du possible. Je vis ma vie, enrichie de tout ce que j'ai vécu pendant dix-sept mois.

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Vous ne sembliez pas toujours à l'aise dans vos habits de ministre : tirez-vous tout de même un bilan positif de cette période ?

F. N. : Evidemment ! Je ne suis pas arrivée avec un programme arrêté mais avec des convictions et des idées d'action. Et c'est ce que j'ai fait en œuvrant pour l'accès à la culture partout et pour tous, notamment grâce au Pass Culture. Dès le début, certains ont décrété que je n'étais pas à l'aise. Ce n'est pas vrai. Oui, ce n'était pas toujours facile d'autant que j'ai pris mes responsabilités très à cœur. C'est une fonction qui demande de prendre des décisions parfois plus rapidement qu'on le voudrait et je sais que je ne suis pas une oratrice née. Je n'ai jamais fait de théâtre mais cela s'apprend et j'ai eu la chance de travailler avec une comédienne pendant quelques séances. Contrairement à ce qui s'est dit, j'ai pris beaucoup de plaisir à porter mes discours, à partager mes convictions comme lors de la décoration d'Asli Erdogan ou de mon discours de passation. Je me souviens aussi de l'épisode de la matinale de France Inter où on s'est moqué du fait que j'ai dit plusieurs fois « je réfléchis ». Eh bien, je revendique le droit à réfléchir !

Vous évoquez plusieurs fois dans votre livre, le « matraquage médiatique » dont vous estimez avoir été victime : comment l'expliquez-vous ? 

F. N. : J'ai dû faire face à beaucoup de défiance dans les questions qu'on me posait, avec cette impression de ne pas pouvoir être entendue sur les vrais enjeux. Et comme il y a un certain suivisme dans le journalisme, lorsqu'untel prétend quelque chose, les autres suivent. Je pense que le fait que je sois une femme a joué. Mon successeur, qui est quelqu'un de compétent et engagé, n'est pas le plus grand orateur qui soit et on ne lui en fait pas la remarque, ce qui est normal. Ce qui ne l'est pas, c'est que quand on est une femme, on fait systématiquement référence à votre posture, coiffure, façon de s'habiller, etc. Si, en plus de cela, vous n'êtes pas accompagné politiquement, donc protégé par un parti, et que vous vous appuyez sur votre seule conviction... La jalousie est peut-être aussi un des moteurs des articles du Canard enchaîné sur les travaux d'Actes Sud.

Cette affaire vous a ébranlée ?

F. N. : Il n'y a pas d'affaire et aucune problématique particulière. Je n'ai pas bétonné la ville d'Arles avec une librairie. Les travaux qui ont pu avoir lieu sont de l'ordre d'étagères mises dans les espaces de circulation. Toute construction s'est faite dans le cadre de permis de construire. Concernant les locaux à Paris, nous n'étions pas du tout conscients qu'aménager une mezzanine démontable sans faire de trous nécessitait l'avis d'un architecte des bâtiments de France. C'est une erreur, mais je pense que peu de gens en France savent ça. Toute régularisation demandée sera évidemment faite.

Etiez-vous préparée à ce milieu politique et à cette charge de ministre ?

F. N. : Je ne pense pas qu'on puisse se préparer à la violence politico-médiatique. J'étais la seule dans le gouvernement à n'avoir à ce point aucune formation juridique ou aux institutions. Tout le monde avait déjà eu une expérience publique. En regardant en arrière, je me dis qu'une préparation intense d'un mois, à tous les aspects du ministère, m'aurait été très utile.

Concernant le monde du livre, quels sont les éléments de votre bilan dont vous êtes fière ?

F. N. : Je suis très heureuse que le premier sujet que nous ayons porté soit celui des bibliothèques. La France fait face à un paradoxe : nous sommes dans un pays disposant d'un magnifique réseau de bibliothèques qui est ouvert aux horaires où les gens ne peuvent pas y aller ! L'objectif est d'évoluer vers des lieux de vie, des maisons de quartier. Erik Orsenna, avec qui j'entretiens une amitié ancienne et précieuse, a fait le tour des initiatives dans ce domaine à travers la France et a effectué, avec Noël Corbin, des préconisations très précieuses. La dotation générale de décentralisation (DGD) pour les bibliothèques était de 80 millions d'euros, nous avons réussi à obtenir 8 millions de plus !

Et les autres dossiers ?

F. N. : Il y a beaucoup de choses. La mise en place d'études sur l'économie des secteurs fragiles comme la bande dessinée, le travail sur les états généraux du livre, la francophonie ou la traduction. Le livre est le lieu d'échanges par excellence, comme l'écrit Umberto Eco, « la langue de l'Europe, c'est la traduction ». Nous avons aussi œuvré avec Jean-Michel Blanquer [ministre de l'Education nationale, NDLR] pour faciliter et encourager l'accès à la lecture dans les écoles, en favorisant les temps de lecture notamment avec l'action « Le labo des histoires ». Le souci de la régulation m'a guidée, particulièrement au niveau européen. J'ai été très fière de m'occuper de la révision de la directive droit d'auteur à l'ère du numérique et d'obtenir, de façon très précise, un partage de la valeur sur tous les supports numériques et une responsabilisation des plateformes.

Avez-vous compris la fronde des auteurs sur la réforme du régime social des auteurs, Joann Sfar déclarant notamment en juin 2018 que « l'histoire retiendra que c'est une ministre éditrice qui a massacré les écrivains » ?

F. N. : J'ai trouvé sa réaction incompréhensible et injuste. Je me suis battue sur la CSG des auteurs, me confrontant même directement au Premier ministre, Edouard Philippe, et j'ai travaillé pour qu'il y ait finalement une compensation qui ne pénalise pas le budget de la culture. J'étais prête à démissionner sur ce sujet si nous n'avions pas trouvé de solution. J'ai aussi organisé des réunions régulières au ministère pour qu'on réponde à toutes les questions des auteurs. De plus, j'ai augmenté de 40 à 120 millions le budget pour les actions en faveur des pratiques artistiques et culturelles dans l'éducation afin de favoriser la présence d'artistes rémunérés dans le cadre d'interventions à l'école. J'aurais peut-être dû communiquer plus systématiquement sur ce que je faisais.

Comment avez-vous réagi lorsqu'on vous a retiré la régulation économique du secteur de l'édition ?

F. N. : Je n'ai pas été surprise. C'est l'aboutissement d'un processus très long et absurde que j'ai tenté d'endiguer. Quand on est venu me chercher pour être ministre, j'ai vu des juristes devant qui j'ai exposé toutes les questions qui pourraient prêter à des conflits d'intérêts. J'avais de nombreuses responsabilités dans des conseils d'administration, j'ai démissionné de tout. Pour Actes Sud, j'ai dressé un écran total entre moi et la maison, du jour au lendemain, en confiant l'usufruit à un tiers de gestion et en me retirant de mes fonctions comme des votes. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui est indépendante du gouvernement, a envisagé mon déport du secteur et de la tutelle du Centre national du livre (CNL) dès la fin 2017 en se demandant si je n'avais pas une sorte d'intérêt caché étant donné que ma famille y travaille. C'était une idée absurde d'autant plus que l'édition est un des secteurs les moins aidés et que je n'avais aucun rapport avec les décisions du CNL dont les instances avaient été nommées avant mon arrivée au ministère. J'ai trouvé leur position exagérée, comme si la déontologie n'existait pas.  J'ai essayé d'argumenter devant une commission, mais j'ai finalement dû accepter cette recommandation. 

Avez-vous des regrets ?

F. N. : Je regrette de ne pas avoir pu pleinement faire profiter le gouvernement de mon expérience d'éditrice. J'aurais souhaité plus travailler sur l'écosystème du monde du livre pour le protéger des attaques des grands géants d'Internet. Ces superpuissances qui veulent faire la loi sont dans une politique agressive en disant ouvertement que l'auteur et le livre n'ont plus besoin du libraire et de l'éditeur. J'aurais aussi aimé pouvoir continuer les chantiers pour protéger les auteurs, le statut particulier de directeur de collection ou encore trouver des moyens pour préserver des librairies indépendantes. Mais je compte bien poursuivre ces combats de là où je suis.

Vous évoquez dans votre ouvrage la possibilité de continuer à travailler avec Emmanuel Macron : où en êtes-vous ?

 

F. N. : C'est quelqu'un de chaleureux et d'attentif à l'autre. Il m'a dit qu'il aimerait bien continuer à travailler avec moi. De mon côté, je suis heureuse d'être retournée là où je suis.

 

Avez-vous retrouvé votre poste de présidente du directoire d'Actes Sud ?

 

F. N. : Je ne suis pas présidente d'Actes Sud, mais je suis revenue au directoire. Cela a toujours été un lieu où on décide ensemble. J'ai récupéré mon bureau et je me suis même fait des cartes de visite Actes Sud sans intitulé de poste.

Pensez-vous récupérer le mandat que vous occupiez au Syndicat national de l'édition ?

F. N. : C'est à eux de décider mais, de mon côté, je suis pour.

Pourquoi avoir ressenti le besoin d'écrire un livre, qui plus est très intime, sur votre expérience ?

F. N. :La culture n'est pas un facteur facile de cohésion sociale, elle peut même être un facteur aggravant de ségrégation. Travailler pour la culture pour tous a été une véritable obsession pour moi et une évidence. Alors quand Laure Adler m'a demandé de rejoindre sa collection chez Stock, en me disant que c'était dommage d'avoir fait tout ça et de ne pas le raconter, j'ai accepté. Et je l'en remercie encore. Si j'avais fait ce livre toute seule, peut-être que je n'aurais pas retracé tout mon parcours. Mais c'est finalement intéressant par rapport à la cohérence qui m'anime. Ce témoignage est aussi une manière de dire à tous qu'il est possible d'avoir mon parcours et d'accéder aux plus hautes responsabilités.

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