Tableau vivant. Vers 1550 fut peint, dans l'atelier du Tintoret à Venise, un tableau représentant le mariage de la Vierge. Passant de main en main, de Ferrare à Rome, il finit par atterrir à Naples, vers 1630, rejoignant la collection d'un curieux prince, le marquis Alessandro de Paladini. Ce passionné de peinture, aussi riche que dépensier, vit dans son palais de la Via Toledo, dans le quartier espagnol de la ville parthénopéenne, laquelle était justement, en ce temps-là, province espagnole. Son tableau, Paladini nourrit l'ambition qu'il soit dupliqué à la fresque, ainsi que cela se faisait à l'époque à partir d'un bozzetto, une esquisse, sur l'un des murs de la magnifique certosa San Martino, la chartreuse qu'est en train d'achever de construire le sculpteur architecte en chef Fanzago Cosimo sur les hauteurs de Naples. La vue sur la baie y est à couper le souffle, avec le Vésuve en toile de fond. Toujours menaçant, ainsi qu'il le démontrera un peu avant la Noël de 1631, par une éruption et un tremblement de terre qui marqueront durablement les Napolitains. Leur légendaire insouciance ne fut jamais plus la même, dit-on.
C'est ce que pense le Mariage de la Vierge lui-même. Car le tableau, qui est aussi le narrateur du roman, pense, communique avec ceux qu'il a élus par une espèce de télépathie, se glisse dans leurs cerveaux et les influence. C'est le cas avec Alessandro, qui devient de moins en moins falot au fil du récit, surtout à partir de mai 1630, quand arrive à Naples, en provenance de Rome, la célèbre peintre Artemisia Gentileschi. Une femme talentueuse, féministe avant l'heure, forte, tempétueuse, experte dans la manière de se faire des ennemis. Une liaison va se nouer entre eux, au grand dam de Livia, l'épouse bigote du marquis, et durera jusqu'à leur mort, en 1656, de l'épidémie de peste bubonique qui frappa durement la ville − la deuxième la plus peuplée d'Europe, avec ses conditions sanitaires exécrables.
Ce qui va les rapprocher, aussi, c'est l'enquête qu'ils mènent ensemble contre les agresseurs d'Artemisia, qui ont saccagé plusieurs fois son appartement et l'atelier où elle travaillait avec ses apprenties. Le marquis et l'artiste sont aidés dans leurs investigations par les suggestions du tableau qu'ils trimballent souvent avec eux − le reste du temps, il est, au mur du cabinet d'Alessandro, le témoin de leurs ébats. Il ne faudra guère de temps à nos détectives amateurs pour voir derrière tout ça la sinistre main du redoutable Fulgence de Roaldès, le Grand Inquisiteur castillan. Au passage, Artemisia aurait inventé la technique de la prise des empreintes digitales.
François de Bernard, sous couvert de roman historique, n'a pas peur des inventions, des anachronismes ni du fantastique. Il ne revendique pas l'exactitude, même si sa connaissance de l'histoire de l'art est impeccable − parfois trop. Sur cette époque baroque, il a écrit un roman non moins baroque, au style chantourné, dont Naples est la vedette, et un tableau, le narrateur, lequel poursuivra sa propre destinée. L'art, seul, est immortel.
La chartreuse de Naples
Héloïse d'Ormesson
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 21 € ; 352 p.
ISBN: 9782350879529