Livres Hebdo : Pour cette 54e édition de la Foire du livre de Bruxelles, la région des Hauts-de-France est plus présente que jamais…
François Annycke : L’Agence régionale du livre et de la lecture (AR2L) des Hauts-de-France a travaillé depuis plusieurs années déjà avec la Belgique, sur deux plans. Le premier sur une action à la Foire du livre de Bruxelles dès 2018 et le second au niveau patrimonial, puisque nos bibliothèques sont riches d’un patrimoine graphique et littéraire commun que nous avons listé afin de le valoriser ensemble. Depuis que j’ai pris la direction de l’Agence en 2022 j’ai voulu renforcer ces liens avec la Belgique. Parce que nous partageons une frontière – rappelons que Lille est une aire métropolitaine d’1,5 million d’habitants répartis de part et d’autre de la frontière franco-belge – mais pas uniquement. Tant de choses dans les Hauts-de-France nous lient, culturellement, historiquement, à nos voisins belges. Nous avons les mêmes carnavals, les mêmes fêtes des géants, les mêmes beffrois, les mêmes grands-places (ces trésors du folklore ou de l’architecture du Nord de la France et du territoire belge sont classés dans le même dossier à l’Unesco). Du point de vue de la création également, l’échange est constant : des étudiants des Hauts-de-France vont se former à l’ESA Saint Luc à Tournai, alors que des artistes ou des écrivains belges vont exposer ou être édités côté français, et vice-versa… C’est une histoire commune qui se construit au quotidien. Pour revenir plus spécifiquement au livre, la Foire du livre de Bruxelles n’est autre qu’un point d’orgue de toutes ces actions que nous menons ensemble avec les acteurs du livre belges tout au long de l’année.
« "Éditer en francophonie" » est devenu une organisation composée d’associations professionnelles d’éditeurs de tous ces pays de la francophonie »
Cette année vous avez réitéré l’initiative « Éditer en francophonie », de quoi s’agit-il au juste ?
La Foire du livre de Bruxelles, même si les auteurs néerlandophones peuvent être présents, reste un événement éminemment francophone. Ainsi la Foire a-t-elle déjà invité le Maroc, le Québec… En juin 2022, je me renseigne auprès des organisateurs pour savoir si les Hauts-de-France pourraient avoir un stand, là on nous propose d’être invité d’honneur… Au vu du nombre d’éditeurs dans notre région, je me voyais mal accepter cette offre et débourser autant d’argent pour un stand ; en revanche, en tant que coprésident de la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (FILL), je me suis dit qu’il serait plus judicieux de mettre en valeur l’édition sur les territoires français et non pas l’édition en France, à savoir ce volet recherche et développement de l’édition française méconnu à l’international. Car lorsqu’on parle d’édition en France, on pense tout de suite aux grands groupes comme Hachette ou Editis, ou aux grandes maisons indépendantes, et on oublie le foisonnement éditorial sur le territoire, ces 3 500 maisons d’édition qui sont autant de pépites et de foyers de créativité brute.
C’est ce que vous appelez « l’édition francophone des régions »…
Absolument. Et en 2023 ce sont les régions en France qui ont été l’invité d’honneur de la Foire du livre de Bruxelles. Cependant si j’avais bien emmené neuf régions à la Foire cette année-là, se posait déjà la question de savoir ce que nous allions faire ensuite. Alors Grégory Laurent, le commissaire-général de la Foire, et moi-même sommes allés voir tout ce qui comptait de francophones sur les stands à Bruxelles – les Suisses, les Québécois, les Luxembourgeois… pour prolonger l’aventure. Ainsi est né « Éditer en francophonie », qui désormais n’est plus l’apanage de la FILL ou de la Foire du livre de Bruxelles mais est devenu une organisation composée d’associations professionnelles d’éditeurs de tous ces pays de la francophonie, avec dans la boucle le Bureau international de l’édition française et l’Alliance internationale de l’édition indépendante.
« De la même façon que la monoculture détruit les sols, la concentration éditoriale assèche le terreau créatif »
« Éditer en francophonie » a mis en place un programme qui rassemble francophonie du nord et francophonie du sud afin de promouvoir un espace francophone de la littérature. Il s’agit de créer des liens de coproduction, liens à la fois commerciaux et culturels, des échanges marchands et artistiques qui favorisent les coéditions nord-sud mais également sud-sud (on peut avoir une coédition franco-marocaine comme imaginer une coédition tunisienne et malienne). Cette deuxième édition d’« Éditer en francophonie » a eu lieu à Bruxelles mais l’événement est appelé à se développer grâce aux aides du Centre national du livre ou d’autres entités au-delà de Bruxelles, et à se tenir sur d’autres territoires de la francophonie, à Montréal, à Rabat, à Tunis… L’idée est d’être présent partout où on parle le français.
L’enjeu n’est pas purement économique…
La francophonie est un terme compliqué, car le mot a pour certains des relents de colonialisme ou de néo-colonialisme. Dans le même temps il est urgent de développer de nouvelles dynamiques car le français est en perte de vitesse sur tous les continents. Ici « francophonie » n’a rien à voir avec l’idée de conquête, il s’agit de repenser ce soft power à travers la langue. Proposer une diversité linguistique (le français réussit à accueillir d’autres langues avec notamment le créole) c’est permettre de penser autrement le monde. Au-delà de la résistance face au tout américain ou au tout anglais, grâce à un programme tel qu’« Éditer en francophonie » nous défendons surtout les petits éditeurs indépendants, qui sont un vivier de la création, cette partie « recherche et développement » de l’édition française, et étouffent face aux concentrations. Ils sont pourtant nécessaires. Cette diversité est essentielle pour penser le monde autrement. De la même façon que la monoculture détruit les sols, la concentration éditoriale assèche le terreau créatif. Les auteurs de demain sont parfois les auteurs qu’ont trouvés ces petits éditeurs d’aujourd’hui.