10 septembre > Beaux-Arts France

"Il est temps de faire de Fragonard un peintre profond ", écrivait dès 1987 Philippe Sollers dans l’un de ses livres les plus inspirés, Les surprises de Fragonard (que Gallimard réédite aujourd’hui), soit juste avant que la France ne consacre au peintre sa première grande rétrospective. Tardive. Alors que ses confrères et contemporains Poussin et Watteau, eux, sont reconnus et célébrés depuis bien longtemps. Pourquoi cet artiste majeur, qui signait parfois ses tableaux d’un simple "Frago", est-il resté si longtemps "méconnu" (Sollers dixit), voire minoré ? Peut-être parce que sa vie - naissance à Grasse en 1732, mort à Paris en 1806, avec, de 1756 à 1761, l’inévitable passage par l’Académie de France, à Rome -, nous demeure relativement mystérieuse. Parce qu’il est mort trop tard pour être purement XVIIIe, trop tôt pour être romantique, même si certaines de ses œuvres, et sa technique picturale, rapide, nerveuse, à larges traits de pinceau, en préfigurent la modernité. Peut-être aussi, surtout, parce qu’autour de 1790, sa fille chérie Rosalie étant morte deux ans auparavant, il renonce progressivement à son art. Comment peindre la joie de vivre, les plaisirs de la chair et l’insouciance de l’Ancien Régime, lorsqu’on est soi-même meurtri et que la France entre dans une période de révolution(s) ?

L’exposition qui se tient au musée du Luxembourg, à Paris, du 16 septembre au 24 janvier, et qu’accompagne le subtil album de Guillaume Faroult, conservateur en chef au Louvre chargé des peintures du XVIIIe siècle, a choisi de présenter le Fragonard "amoureux, galant et libertin", depuis ses débuts encore sous la houlette de son maître Boucher jusqu’aux allégories amoureuses des années 1770. Histoire de se plonger dans quelques moments de grâce en suspens, comme ces Hasards heureux de l’escarpolette, l’un de ses chefs-d’œuvre emblématiques. J.-C. P.

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