David Plante est né deux fois. La première, en mars 1940 à Providence, Rhode Island. La seconde, cette fois-ci à l’amour, la poésie, l’art, un jour de 1965 à Londres lorsqu’il fit la connaissance de l’éditeur, historien de l’art et poète d’origine grecque Nikos Stangos, qui devint son amant et le resta près de quarante ans, jusqu’à sa mort en 2004. Il y avait eu dans l’enfance de Nikos le déracinement, la guerre, une nounou communiste, le deuil que l’on ne s’autorise pas à éprouver, le sentiment que rien de ce qu’il pouvait vivre ne lui appartenait vraiment. Il y aura dans la vie des deux hommes des voyages et de la mélancolie, des agacements, des infidélités, un rapport presque sensuel à l’exil, Londres comme port d’attache et l’Italie comme ligne d’horizon, des musées et des expositions, des amis infiniment chers, une vie comme une suite de précieuses épiphanies.
C’est cette vie que relate, resté en arrière, à sa façon, fragmentaire comme le souvenir, David Plante dans le très bouleversant Amant pur. Bouleversant d’abord, bien entendu, en ce qu’il ne cherche jamais à l’être. Jusqu’alors, seuls les romans de David Plante avaient été traduits (Le sixième fils, Coutaz, 1988 ; Le temps de la terreur, Actes Sud, 2002 ; American stranger, Plon, 2011). Celui-ci ressort d’un genre qui n’en est pas vraiment un, tout à la fois récit biographique et suite de fragments poétiques. Au-delà de son couple, c’est à la recréation d’un climat où le « swinging London » se mélange aux ultimes échos du groupe de Bloomsbury que nous convie Plante. Un temps charnel où toute vie était à la fois sauvée et justifiée par l’art. C’est moins un temps ou une époque d’ailleurs, qu’un état d’esprit. Il est là beaucoup question de croyance. Puisque la tristesse participe de la beauté du monde, l’auteur a sous-titré son livre Mémoires de la douleur. Le volume est mince, point n’est besoin d’en rajouter. Prisonnier entre ces pages, Nikos est là. Eternellement, il est là. Olivier Mony