Le passé n'est jamais objectif. D'autant que nous le fabriquons. Il peut même se révéler extrêmement dangereux. Nous en avons une illustration avec cette enquête d'Olivier Laurent sur l'archéologie nazie et son invention de la race nordique. C'est un domaine qu'il connaît bien. Conservateur au musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, il a publié en 2008 au Seuil Le sombre abîme du temps, un essai sur le thème de la mémoire et de l'histoire.
Dans Nos ancêtres les Germains, il poursuit cette réflexion en prenant l'exemple de l'archéologie lorsqu'elle fut reprise en main par Rosenberg et Himmler. Durant cette période, près de 90 % des préhistoriens allemands étaient membres du parti nazi, ce qui en faisait la profession la plus impliquée dans le IIIe Reich, juste derrière les services secrets ! Les autorités nationales socialistes donnèrent beaucoup d'importance à cette corporation chargée de nettoyer le passé pour le rendre compatible avec leur idée du présent, un peu comme les employés du Commissariat aux archives dans 1984 d'Orwell. Pour cela, les Allemands mirent en place des méthodes allemandes, efficaces, précises, avec des budgets importants, dans la perspective de regermaniser l'Europe de l'Ouest. La fouille devient un outil de propagande pour démontrer la supériorité de la "race aryenne" sur celle des Sémites.
Olivier Laurent nous raconte quelques trajectoires individuelles de chercheurs au sein de cette corporation pas si homogène que cela, si l'on excepte l'adhésion au NSDAP, notamment celle de Hans Reinerth et Herbert Jankuhn. Ce savoir-faire va impressionner les Français. Le bureau Préhistoire et archéologie sert de relais à cette science dévoyée et les origines de la France sont aussi aryanisées. La Bretagne devient germanique et les Celtes des Indo-Germains ! Les Gaulois n'ont rien inventé, par Toutatis ! Tout est germain mon cousin. Sauf l'Angleterre, évidemment.
L'archéologie française est soumise à cette pollution morale. Certains s'en satisfont comme Jean-Jacques Thomasset, fasciné par Hitler, qui considère la Bourgogne comme une vieille terre du Reich allemand. A Vichy, on développe une archéologie de la défaite. Si la France a perdu la guerre, c'est qu'elle a oublié ses racines... Alors on fouille. Et c'est ainsi que se met en place une stratégie à l'égard des Antiquité nationales, qui sera à l'origine de la politique de protection du patrimoine après la Libération.
C'est l'un des paradoxes soulevés par cet ouvrage : l'avancée d'une science que l'on détourne de sa finalité. Cette nazification du passé a porté un coup rude à l'idée que l'on se faisait de l'histoire. Désormais, on sait qu'il n'y a pas de pièce sans conviction. L'archéologie consiste bien à interroger les restes de cette terre étrangère qu'est le passé pour y trouver autre chose que des pots cassés. Reste à savoir ce que nous y recherchons. C'est tout le fond de ce livre.