Récit/État-Unis 10 janvier Roxane Gay

Hunger est le livre le plus frontal, le plus personnel de Roxane Gay. Une auto-analyse confession d'une remarquable franchise qui raconte l'histoire de son corps de femme grosse. L'écrivaine y décrit sans détours ce que ça veut dire de vivre dans l'Amérique contemporaine avec un corps obèse. Et revient sur un secret littéralement enfoui sous la graisse : le viol collectif qu'elle a subi à 12 ans, déjà évoqué dans l'un des essais regroupés dans Bad feminist (Denoël, 2018). Dans ce recueil paru en 2014 aux Etats-Unis et devenu culte, elle questionnait les stéréotypes culturels, la norme de la bonne féministe dans laquelle elle ne se reconnaît pas. Il faut que dire que Roxane Gay, née en 1974 dans une famille aisée d'immigrés haïtiens, défie la norme de toutes les façons. Et dans Hunger, on croise à la fois l'enfant protégée, gauche et solitaire, à qui des parents aimants ont donné une éducation d'élite, la femme noire très souvent isolée dans un environnement blanc, « la fille dans la forêt » abusée, la bisexuelle et la « gentille fille catholique » qui a caché à tous pendant vingt ans le traumatisme qui a fait basculer sa vie. 

Hunger est l'histoire d'un combat sans fin contre la vulnérabilité : Roxane Gay raconte comment elle a grossi pour se protéger, pour tenir les hommes à distance. Comment elle a mangé pour se réconforter. Comment ses kilos sont devenus son armure pour se sentir en sécurité mais aussi sa prison. Comment son corps violenté est la cage qu'elle s'est elle-même construite. C'est l'histoire d'une faim sans limites. C'est l'histoire de la honte et de ses différents visages. Et de la cruauté d'un monde inhospitalier où il faut quotidiennement affronter dans les lieux publics les regards hostiles, la violence des commentaires de dégoût ou de pitié sur les réseaux
sociaux. Et vivre avec ce paradoxe :
« Je déteste être extraordinairement visible, mais invisible. »

Ce sont ces contradictions assumées, ce ton jamais dénonciateur qui font la profondeur du témoignage. Pas de salut, de cure, de régime miracle pour cette « survivante » qui refuse d'être réduite à la victime de ce qui l'a brisée. Mais une réappropriation pour trouver le courage d'être soi, c'est-à-dire tant d'autres choses qu'un corps, et conquérir la fierté fragile d'une « forte femme ».

Roxane Gay
Hunger : une histoire de mon corps - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Santiago Artozqui
Denoël
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20,90 euros ; 326 p.
ISBN: 9782207140185

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