« Personne n’a songé à rompre ce pacte non écrit qui durera longtemps, de fait jusqu’à aujourd’hui », écrit Jean-Pierre Thibaudat sur son blog hébergé par Médiapart. L’ancien critique littéraire de Libération, âgé de 76 ans, a décidé de divulguer son « secret des sources » qu’il a tenu même devant la police judiciaire en 2021, après avoir informé les ayants droits en 2020 qu'il détenait les manuscrits disparus de Louis-Ferdinand Céline, une information rendue publique début août 2021.
Fin du suspense
D’après le journaliste, jusqu’à ce 10 aout 2022, seules cinq personnes connaissaient le cheminement de ces 6000 feuillets. L’histoire telle que racontée est somme toute classique dans les circonstances de découvertes extraordinaires : Il est question de malle, de caves et… d’oubli. Là où elle se distingue, c’est sur le témoignage, sans preuve à l’appui, d’un échange épistolaire entre Louis-Ferdinand Céline et le détenteur des manuscrits pour que celui-ci les lui rende. L’écrivain aurait décliné vertement.
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— Mediapart, le Club (@MediapartBlogs) August 10, 2022
Sans préciser de dates dans son récit, Jean-Pierre Thibaudat raconte précisément qu'il a mis la main sur le trésor par la fille d’Yvon Morandat. Ce compagnon de la Libération, entré au gouvernement Pompidou en 1968 comme secrétaire d’État chargé de l’emploi, est mort en 1972, à 58 ans. A la libération de Paris, il s’installe dans l'appartement de Céline, rue Girardon, sur la butte Montmartre. Si les meubles de l'écrivain parti précipitamment le 17 juin 1944 sont entreposés dans un garde-meuble, la malle aux 6000 feuillets est conservée par Morandat, qui la stocke dans sa cave lors d'un déménagement quelques années plus tard à Neuilly. Au début des années 1980, sa fille découvre la malle, quatre ans avant la mort de sa mère. Dès lors, le poids de ces documents va peser sur la conscience de ses dépositaires, qui partageront leur angoisse d’abord avec un ami, puis avec Jean-Pierre Thibaudat et sa compagne. Partageant le même regard sur l’auteur Céline et l’homme Louis-Ferdinand, les cinq souhaitent attendre la mort de la veuve de l’écrivain, Lucette Destouches, pour révéler l’existence des manuscrits.
Fin de l'histoire ? Pas forcément
La suite est connue et largement relayée dans les médias. Si Jean-Pierre Thibaudat a décidé de raconter sa vérité, c’est qu’il regrette la tournure qu’ont pris les événements depuis la révélation de la préservation de ces manuscrits. De son côté, François Gibault, avocat et ayant droit de Louis-Ferdinand Céline, ne conteste pas cette version. Sollicité par Livres Hebdo, il se dit surpris et déçu par Yvon Morandat « qui a conservé ses manuscrits en connaissance de cause ». L’avocat nonagénaire regrette également ce secret gardé si longtemps et aurait aimé « plus de franchise entre les uns et les autres », avouant que si Jean-Pierre Thibaudat « avait raconté cette histoire dès le départ cela aurait changé les choses ». Fin de l’histoire ? Pas forcément. François Gibault assure qu’il manque toujours à l’appel le manuscrit complet et définitif de Casse-Pipe. « Est-ce Morandat qui l’a récupéré ou quelqu’un d’autre ? Le mystère demeure », peste-t-il. De son côté, Jean-Pierre Thibaudat évoque « le gâchis » de ce « trésor (…) dépiauté ou gardé dans les coffres des ayants droit ». Une révélation qui ne lève pas les déceptions de chacun.