Dans la famille Simenon, des petits-bourgeois de Liège, le père, Désiré, comptable, a toujours préféré le fils aîné, Georges, né en 1903, celui qui deviendra un écrivain illustre, salué par les plus clairvoyants de ses pairs. Gide, son mentor chez Gallimard, qui par exemple disait : "Simenon est le plus grand romancier de tous, le plus vraiment romancier que nous ayons en littérature."
La mère, elle, la bigote Henriette, a donné tout son amour au cadet, Christian, né en 1906, le mouton noir de la famille, le loser qui empoisonna pas mal, jusqu’à sa mort, en 1947, l’existence de Georges.
C’est à ce Christian que Patrick Roegiers consacre un roman singulier, tout en prenant quelques licences avec la vérité biographique, rétablie à la fin du livre. Mais l’essentiel demeure. Simenon junior s’est engagé, dès sa création à Louvain en 1936, dans le mouvement rexiste (de Christus Rex) de l’ignoble Léon Degrelle, "le paon des Ardennes", comme disait son ami Brasillach. Des catholiques intégristes, antisémites et fascistes, qui finiront durant la guerre et l’Occupation allemande, carrément nazis. Degrelle, d’ailleurs, a rencontré Mussolini et Hitler. Christian, au chômage depuis son retour du Congo, va devenir un apparatchik du parti, sans états d’âme, jusqu’en 1944. Puis, alors que le vent commence à tourner, que la Résistance s’organise et que des collabos sont exécutés, il va se mouiller jusqu’au cou, participant au massacre de 27 civils lors de la "tuerie de Courcelles".
Pendant ce temps, en France, Georges mène une vie confortable de gentleman-farmer, écrit comme un forcené, et se rend parfois à Paris pour faire la fête et fréquenter des lieux et des gens peu recommandables. A la Libération, il aura d’ailleurs de menus ennuis, que la découverte des crimes de son frère n’aurait pu qu’aggraver. Sur les conseils de Gide, Simenon convainc son frère, condamné à mort par contumace, de s’engager dans la Légion étrangère et de partir loin, très loin. Ici s’arrête le roman. Dans la "vraie vie", Christian fut tué en Indochine, non loin de Hanoi, fin 1947.
Le sujet est passionnant et assez peu connu, sauf des aficionados de Simenon. Il méritait bien un livre. Patrick Roegiers l’a écrit sur un ton ironique, comme détaché, sous forme de paragraphes entrelardés de dialogues, parfois familiers, qui remettent tout en perspective. On ne lui reprochera que son chapitre 24, sur Gide, truffé d’invraisemblances. J.-C. P.