Dans le cadre d'un programme de la Commission européenne visant à soutenir les secteurs de la culture et de l'audiovisuel (Europe créative, « l'Europe des libraires indépendants »), l'Association internationale des libraires francophones (AILF) a demandé à ce qu'une étude sur les caractéristiques et le modèle économique des librairies européennes hors de France soit réalisée. David Piovesan, ex-libraire et chercheur en sciences de gestion à l'université Lyon 3, qui a notamment travaillé sur les façons dont les librairies se réinventent aujourd'hui face au changement de leur contexte d'action (vente en ligne, nouvelles pratiques de lecture), a parcouru l'Europe pendant un an pour visiter des librairies en Italie, en Allemagne, au Danemark… et échanger avec les libraires.
Initialement, les conclusions de cette étude devaient être rendues à Europe créative. Mais au regard des tensions que connaît le secteur des librairies francophones à l'étranger, ces conclusions ont aussi été présentées, le 10 octobre, devant les institutions françaises du livre (le service du Livre et Lecture, la direction des affaires européennes et le CNL).
En attendant le rendu final prévu pour avril 2024 à Bruxelles, Livres Hebdo livre quelques premières conclusions de l'étude.
Les premiers constats
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La grande diversité de ces librairies en Europe (géographie, culture, monnaie, langues, clientèle, lois, fiscalités…). Les contextes d'action sont donc singuliers selon les pays ou la taille des villes dans lesquelles ces librairies se trouvent.
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Les librairies elles-mêmes diffèrent les unes des autres, notamment en termes de surface. Ce qui ne permet pas de comparer les chiffres d'affaires de ces librairies selon les mêmes critères. Ainsi David Piovesan a-t-il repéré 4 différents profils selon les tailles des librairies : grande, moyenne +, moyenne –, petite.
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Ces librairies, pour la quasi-totalité, sont impliquées dans des associations locales, des institutions ou dans leur quartier, et mènent une politique d'animations ambitieuse.
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À l'instar de ce qu'ont pu faire les librairies françaises, elles sont présentes sur les réseaux sociaux, font des livraisons et des envois postaux, de la vente en ligne et du « click & collect ».
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Concernant l'aspect économique, le chercheur parle d'« équation infernale » mais dessine quelques éléments de compréhension : les charges et les dépenses sont plus élevées que les librairies françaises. Celles-ci ayant augmenté partout, les librairies francophones à l'étranger ne sont pas épargnées, bien au contraire.
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Les charges en comptabilité, les charges externes et « autres achats » sont de 5 % supérieures à celles d'une librairie en France (transports plus longs, loyers dans de grandes villes et frais de personnel).
Quelles solutions pourraient être apportées ?
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Non soumises au prix unique du livre, ces librairies pourraient augmenter le prix des livres pour équilibrer les comptes. Sauf que, dans le contexte économique actuel, hyper concurrentiel avec le développement des ventes en ligne et le contexte inflationniste, augmenter les prix n'est pas une solution en interne.
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Acheter des livres dans des langues où le prix pratiqué est moins cher que les livres en langue française. Mais abandonner la langue française et son rayonnement à l'étranger ne paraît pas non plus une solution à terme.
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Pour être concurrentiel et compétitif, il faut pouvoir servir le client rapidement. Or face à Amazon, et Lireka dans une moindre mesure, le système tel qu'il est actuellement a du mal à être compétitif. Leur situation précaire ne leur permet pas de jouer loyalement une concurrence.
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Dans certains pays, les institutions françaises à l'étranger (bibliothèques, institutions, alliances, ambassades) n'établissent pas de liens clairs avec les librairies françaises. Or cela pourrait permettre de les soutenir et de les développer.
David Piovesan rend finalement compte de la fragilité et de la vulnérabilité de ces librairies. S'il souligne la nécessité et les bienfaits pour elles du programme de soutien et de subventions du CNL, il constate aussi que les règles du marché sont en leur défaveur.
À partir de ses premières conclusions, dont la totalité sera révélée en avril prochain, le chercheur préconise de faire régulièrement ce type d'études, de produire des données afin de créer des outils utiles aux libraires, unis par le réseau AILF. Sur le modèle de l'observatoire qu'a mis en place le SLF, il s'agirait d'en créer un autour des librairies françaises à l'étranger, qui ne se borne pas aux frontières de l'Europe, mais qui s'étende à tous les territoires et librairies concernés par le sujet.