Roman/France 16 mai Irène Némirovsky

« Il ne faut jamais avoir confiance en ceux qu'on ne connaît pas. » Qu'en est-il de ceux qu'on connaît ? Irène Némirovsky a l'art de nous tendre des miroirs. Capable de déshabiller la société ou les liens privés, elle n'épargne même pas sa propre famille. Ce roman-ci sort en 1928, sous le pseudonyme Pierre Nerey, histoire de « déguiser sa part intime ». Le biographe de l'auteure morte en déportation à Auschwitz en 1942, Olivier Philipponnat, y voit « la volonté de la jeune romancière, à 23 ans, de gifler sa mère tout en l'épargnant. Cette haine farouche fut le principal ferment de son âme. »

Elle lui inspire Gabri, une gamine agitée évoluant dans une ambiance tendue. Ses parents se disputent souvent, mais la guerre redistribue les cartes. Le père étant mobilisé, la mère - Francine - goûte à la liberté. Place aux flirts, aux amants et à l'insouciance. Gabri et sa petite sœur sont délaissées. Une nuit, cette dernière s'éteint en l'absence de la figure maternelle, partie festoyer. Un acte impardonnable aux yeux de l'aînée, désespérée. « La mort de Michette avait transformé l'enfant joyeuse en petite vieille, désenchantée, silencieuse. » La rancune habite chacun de ses pores. L'envie de revanche s'opère discrètement, mais sûrement. Tel est son moteur, d'autant que la situation familiale prend encore une autre tournure avec le retour du père. Flanqué d'un cousin, profiteur et séducteur, il ne perçoit pas l'ardeur qui naît entre sa femme et lui.

Gabri est aux premières loges. « Elle vivait dans un état de haine perpétuelle, rageuse et triste. » Celle-ci augmente face à l'indifférence des adultes. La lecture vient combler ses manques. « Les livres remplaçaient pour elle la vie réelle », mais ils ne calment pas ses frustrations. Les interrogations fusent lorsque son corps sort de sa chrysalide. « Le sentiment du bien et du mal, qui n'avait jamais été bien distinct en elle, se brouillait, se troublait tous les jours davantage. » Transformée en jolie jeune fille, Gabri aspire à l'amour. Il se présente sous les traits du captivant comte Génia Nikitof. Or la passion se révèle aussi « une prison qu'on se bâtit soi-même ». L'heure de la vengeance a sonné. Sera-t-elle synonyme de délivrance ? Dans ce roman initiatique, Irène Némirovsky décrit la famille, le couple, le lien filial et la féminité avec une justesse implacable.

Irène Némirovsky
L’ennemie - Préface d’Olivier Philipponnat
Denoël
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 16,90 euros ; 160 p.
ISBN: 978-2-207-14388-9

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