Une année sans lui. Comment ça se finit, la jeunesse ? Pour Éric Neuhoff, c'est facile à dire (même si ce ne fut manifestement pas facile à écrire, près d'un demi-siècle plus tard). Ce fut pendant l'horreur d'une profonde nuit. L'été 1978, sur une route catalane, du côté de Figueras. Le futur romancier avait 22 ans et commençait à chanter comme l'oiseau sur sa branche entre premières chroniques littéraires et vague désir d'écrire un mémoire sur Drieu La Rochelle. Ce soir-là, il avait pris place aux côtés d'Olivier, un de ses meilleurs amis, dans l'idée de finir la nuit en boîte. Il était à la place du mort, mais ce fut Olivier qui n'en revint pas... Adieu doux oiseaux de jeunesse, place à l'horreur de la douleur, d'un hôpital de Gérone à une clinique parisienne. Incipit du livre : « La première fois que j'ai pris l'avion, c'était avec Europ Assistance », tant pis pour la mélancolie des paquebots. Le jeune homme, le cœur au bord des lèvres et le corps en mille morceaux, demeurera un an à la clinique, gisant, pendant que sans lui, le temps, égoïste, passera. Il ne le rattrapera pas. Sagan après son accident avait découvert la morphine, pour -Neuhoff, ce sera le Pentothal, pour un même sentiment d'irréalité poisseuse. Malgré tout, il s'accrochera à la vie, puisque la vie après tout, c'est encore les films de Sautet dans des salles des Champs--Élysées, les premiers Modiano, les albums de Supertramp et le disco, les jambes de Candice Bergen et les yeux de Jacqueline Bisset, un dernier verre au Rosebud à Montparnasse...
Il y a quelque chose de fondamentalement émouvant à voir Éric Neuhoff, après plus de trente livres et tant d'honneurs (un Grand Prix du roman de l'Académie française, un Renaudot essai, un prix Prince-Pierre-de-Monaco...), se livrer ainsi dans ce Pentothal à ce qu'il abhorre souvent chez nombre de ses coreligionnaires : l'exposition de soi. Il est vrai que s'il y consent, c'est avec une élégance, une discrétion, un humour, qui l'éloignent absolument de toute gênante impudeur. Tout de même, les masques tombent et le rideau se déchire, révélant, outre l'insupportable douleur d'un jeune homme, le lancinant chagrin de l'homme qu'il est devenu. Pages sublimes où l'écrivain ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il serait advenu de son ami disparu. « Qui d'entre nous, qui donc, t'avait surnommé "le petit chanteur à la gueule de bois", déjà ? Gavés de fictions littéraires, nous rêvions d'infractions. Sous un ciel d'encre, nous inventions des chemins détournés en parlant de Monsieur Jadis et de Gatsby. Ces noms ne disaient rien à personne. Nous délirions dans le vide. » Non, pas dans le vide. La preuve.
Pentothal
Albin Michel
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 224 p.
ISBN: 9782226499028