Après la chute. Que se passe-t-il après la fin ? La question peut paraître étrange, mais elle prend tout son sens quand il s'agit des civilisations. Eric H. Cline avait laissé ses lecteurs en mer Égée et en Méditerranée il y a trois mille ans. Avec 1177 avant J.-C. Le jour où la civilisation s'est effondrée (La Découverte, 2015), l'historien et archéologue américain avait connu un beau succès en France (13 000 exemplaires GfK pour l'édition normale et plus de 18 000 exemplaires GfK pour la version poche). Il faut dire que la thématique entrait en résonance avec des préoccupations contemporaines. Le professeur a donc repris la plume pour expliquer la suite, dans le même espace géographique, avec ceux qui constituaient le G8 de l'époque : les Égyptiens, les Mycéniens, les Minoens, les Hittites, les Chypriotes, les Cananéens, les Assyriens et les Babyloniens. Comment ces huit sociétés différentes ont-elles réagi à la disparition de leur monde interconnecté ? C'est ce qui nous est expliqué à travers l'examen de traces qu'il faut toutefois éviter de surinterpréter, au risque de sombrer dans l'anachronisme.
Avec force érudition, mais en gardant toujours le sens du récit et de la clarté, Cline nous emporte dans une vaste épopée faite de stupeurs et de tremblements à la fin de l'âge du bronze, dans une période de réchauffement climatique, de famines et d'épidémies, où les royaumes et les empires tombent comme des dominos. Il n'est d'ailleurs pas certain que ces populations aient eu conscience de cette disparition d'autant qu'elle s'est produite sur plusieurs siècles. Aucun témoignage explicite ne dit comment cet effondrement fut vécu. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que sur ce chemin de la résilience et de l'adaptation, l'Assyrie et la Babylonie s'en sortent mieux que l'Égypte.
Paul Valéry disait que les civilisations étaient mortelles, mais à la différence des hommes, elles renaissent par transformations et innovations. En cela, elles ne sont plus les mêmes. Une partie du passé est définitivement englouti, mais sur ces ruines surgissent de nouveaux espoirs. Après la fin des civilisations de l'âge du bronze, en Méditerranée orientale et au Proche-Orient, ce fut l'usage du fer, l'alphabétisation et l'émergence de la cité-État grecque.
À sa façon, Cline nous rappelle que ce que nous nommons histoire n'est le plus souvent qu'une projection de nos attentes et de nos angoisses. Au XVIIIe siècle, Edward Gibbon, l'auteur de l'Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, considérait la civilisation comme un « bricolage silencieux ». Cline nous montre qu'il en est de même pour son effondrement. Là encore ses interrogations sur la vulnérabilité des sociétés, l'importance de l'eau ou la vigilance à l'égard des pandémies font écho à des inquiétudes actuelles notamment à travers les rapports du GIEC. Bref, on peut sans trop de risque prévoir un intérêt de même ampleur pour cette analyse remarquable, magnifique pied de nez savant à tous les déclinistes professionnels.
La survie des civilisations. Après 1177 av. J.-C.
La Découverte
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Saint-Upéry
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 24 € ; 358 p.
ISBN: 9782348083808