La première étape de l’internationalisation d’Editis est modeste : le groupe d’Alain Kouck s’installe à deux heures de Paris, à Bruxelles. Annoncé le 19 mars, le rachat de De Boeck, premier éditeur scolaire et universitaire belge, témoigne de la poursuite de sa stratégie de développement externe. La filiale de Wendel Investissement figure d’ailleurs parmi les quatre candidats retenus pour le rachat estimé de 600 à 700 millions d’euros de la branche scolaire du néerlandais Wolters Kluwer. Mais surtout, avec ce rachat, Editis reprend position sur le secteur universitaire et juridique tombé dans le giron d’Hachette. Cette acquisition porte le chiffre d’affaires total du groupe à près de 800 millions d’euros.
Livres Hebdo : Jusqu’ici avec First ou Le Cherche Midi en 2005 et XO en 2006, vous concentrez votre développement sur la littérature générale. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à De Boeck ?
Alain Kouck : D’abord, nous connaissons bien le marché belge où nous sommes présents, historiquement avec notre filiale pour la jeunesse Hemma et en distribution avec les Presses de Belgique, devenues aujourd’hui Interforum Benelux. L’acquisition de De Boeck s’inscrit dans notre stratégie de développement et vient renforcer l’un de nos trois pôles, l’éducation, comme First, Le Cherche Midi et XO sont venus enrichir notre pôle littérature, et DNL la diffusion-distribution. Avec De Boeck, nous développons aussi le secteur universitaire – dont nous venons de nous défaire avec le passage de Dunod et Colin chez Hachette. Enfin, ce groupe ancien s’avère être en avance dans le développement numérique, notamment dans l’univers B to B. C’est un bon atout pour Editis de pouvoir profiter de cette expérience.
LH : De Boeck a été l’un des premiers éditeurs européens à signer un accord avec Google. Cela ne vous gêne pas ?
AK : Cela ne change pas nos positions et on verra à l’avenir quel type de contrat a été signé précisément. Ils sont aussi à l’origine de Cairn, le portail de diffusion numérique des revues de sciences humaines auquel notre filiale La Découverte est également associée.
LH : Vous n’aviez pas caché votre scepticisme il y a quelques années sur les synergies évoquées par Viviendi Universal Publishing lors du rachat de l’éditeur scolaire américain Houghton Mifflin. Avez-vous changé d’avis ?
AK : Non. Dans le domaine de l’éducation, les programmes sont toujours locaux, les politiques éducatives et les modes de financement différents d’un pays à l’autre. Sur le plan éditorial, les stratégies restent locales. En revanche, dans le domaine du numérique, nous travaillerons ensemble, bien évidemment. En tant que manager, ma principale préoccupation, c’est l’intégration des maisons que nous reprenons. On voit déjà qu’elle est réussie pour les maisons que nous avons reprises en 2005 et 2006, aussi bien en termes d’équipe qu’en termes de résultats.
LH : Comment l’acquisition de De Boeck s’articule-t-elle avec votre candidature au rachat de Wolters Kluwer ?
AK : Puisque notre stratégie nous pousse à nous développer sur l’éducation et l’international, il est normal que le dossier Wolters Kluwer nous intéresse. Cela ne poserait en tout cas pas de problème dès l’instant où l’ancrage de Wolters Kluwer, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Grande-Bretagne est complémentaire. Mais il y a beaucoup de candidats, puissants. Nous regardons bien sûr toutes les opportunités, en poursuivant notre stratégie de développement, avec une croissance interne supérieure à celle du marché et un bon renouvellement de nos contrats en distribution. Nous ne sommes pas obligés de faire un gros coup...
LH : Comment s’est passé 2006 ?
AK : Avant qu’ils soient officiellement communiqués, je peux seulement annoncer une progression à deux chiffres de nos résultats, avec une augmentation de notre chiffre d’affaires à périmètre comparable de 2,5 %. Cela tient en particulier aux bonnes performances de l’éducation, et du poche. 2006 a été une année plus contrastée que la précédente : nous sommes sur un marché qui s’est ralenti avec une offre toujours très importante. Pour moi, l’ampleur de la production témoigne de la vitalité de la création, c’est donc ce qui fait la force de l’édition. Mais on voit bien aujourd’hui qu’il faut que l’ensemble des acteurs du livre réfléchisse à trouver un équilibre qui permette à tous les livres d’atteindre leurs lecteurs. Le remède n’est pas simple, mais il est clair qu’il faut faire évoluer nos organisations pour faire en sorte que tous les livres puissent trouver leur public. Nous sommes dans une période de transition : en vingt-cinq ans, la société a considérablement évolué et nous devons réinventer nos métiers. Je ne suis pas pessimiste : le livre a toujours su s’adapter et au moins, aujourd’hui, la prise de conscience est là.
LH : Le Salon du livre vient d’ouvrir ses portes. C’est peut-être le dernier dans cette formule-là. Que souhaitez-vous pour l’année prochaine ?
AK : Là aussi, les choses doivent évoluer. Le Salon fait parler du livre, et tout ce qui fait parler du livre est une bonne chose. Mais il faut essayer de trouver des formules plus dynamisantes, plus motivantes. Le Salon du livre de Paris doit retrouver son originalité dans un monde qui est devenu plus concurrentiel. Il faut trouver la meilleure solution le plus rapidement possible.
photo : Olivier Dion