Mikhaïl Chichkine, 50 ans, est un Russe installé depuis plus de quinze ans en Suisse. Auteur de plusieurs ouvrages primés dont, chez Fayard, son premier roman, La prise d'Izmaïl en 2003, et Le cheveu de Vénus en 2007, et chez Noir sur blanc d'un essai, Dans les pas de Byron et Tolstoï, prix du meilleur livre étranger en 2005, il écrit des romans polyphoniques et denses où il se plaît à entrelacer les histoires. La forme épistolaire choisie dans Deux heures moins dix - référence à l'heure bloquée d'une montre factice portée par l'héroïne quand elle était petite fille -, se prête bien à ces amples va-et-vient dans l'espace et le temps.
Deux amoureux séparés, Alexandra et Vladimir, qui a été enrôlé dans une guerre lointaine du côté de la Chine, s'écrivent, tentant de construire un pont de mots entre leurs deux réalités devenues étrangères. Difficile de résumer ces lettres qui veulent contenir tous les temps de la vie, les souvenirs (un dernier été à la campagne, la datcha de l'enfance) mêlés à un présent. Chronique du quotidien entre vie ordinaire et champs de bataille, le roman a l'intimité d'un double journal : le jeune homme parle de la vie militaire, de sa lecture d'Hamlet, du nom savant des plantes ; la "bien-aimée" raconte son père fantasque successivement chef d'orchestre, "pilote d'arctique", acteur, et décrit la sensation physique de l'absence... Au début, le dialogue dégage une sensualité chaleureuse qui exalte les sentiments. Plus tard, la légèreté s'en va. Les récits, tout en se chargeant de drame, finissent par ne plus se répondre. Mais le feu entretenu par ces lettres-bûches, qui semblent être devenues sans destinataire, survit. "Ce qu'il faut, c'est être à chaque seconde attentif à ce hurlement de la vie - dans chaque arbre, chaque passant, chaque mare, chaque murmure."