« C'est que du bonheur », lui avait-on promis, comme dans les manuels pour futures mamans. Quelque chose de grandiose et doux, une évidence de plénitude, mais sur le parcours sans billet retour de la maternité, la narratrice anonyme du premier roman de Virginie Noar découvre l'envers du cliché édulcoré et formaté, la face nord. Du désarroi, de la peur, une colère révoltée. De la joie évidente aussi. Mais dans ce roman de combat, elle se conquiert, doit se gagner sur toutes les injonctions, « pour le bien » de la femme puis de l'enfant.
Dès la scène d'ouverture, elle se livre parturiente, ventre béant, corps dépecé dans la solitude du champ de bataille. Puis on revient en arrière, au début, jeune femme dans son corps d'avant - « mon corps égoïste et mes plaisirs insensés » -, bientôt mère : la grossesse, la naissance d'une fille, les premiers soins en spectatrice hébétée, les premiers mois, l'apprivoisement, les doutes, la vie avec Le corps d'après. Ce que dit ce roman avec la force des secrets intimement révélés, c'est qu'enfanter est une double naissance et un deuil. Mettre au monde est une guerre. L'accouchement, une scène de crime (ici les âmes sensibles passeront leur chemin). Et avec un lyrisme rageur, la jeune romancière fait le récit de cette épopée d'où la mère sort victorieuse et défaite à la fois. La naissance, sous ses mots crus, n'est pas métaphorique : elle est « de chair et d'os et de viscères ». Elle est indissociable du sexe, du désir consenti qui a précédé, ou de l'acte imposé autrefois. Elle convoque aussi le corps de l'enfance, des « années gelées » dans l'ombre menaçante d'une mère folle.
La jeune narratrice fait l'éloge du corps qui sait, du corps compétent, autonome. Et de l'instinct, cette « force de vie qui préexiste en chaque corps vivant pour survivre et évoluer », mais elle constate qu'« on ne peut pas trop dire ce mot, instinct. Parce qu'ensuite les femmes finissent à la maison la lessive le ménage, avec cet instinctmaternelqui leur colle aux basques. » Le corps d'avant et d'après, et pas seulement celui des mères, est un corps politique. Un corps en résistance, contre les contraintes qui l'asservissent à l'ordre social, aux « empêcheurs de », qui le livrent aux gestes intrusifs des experts, aux culpabilisations, qui l'oppriment et le soumettent. « Nos corps, le rempart de nos luttes obligées. »
Le corps d’après
Éditions François Bourin
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 19 euros ; 256 p.
ISBN: 9791025204566