On sent bien la difficulté à dire les choses, à les situer. Les souvenirs de ces six mois d’internement à Buchenwald sont fugaces. Et terribles pourtant. Bertrand Herz est avec son père. Il a alors 14 ans. Il se rappelle le pull-over que celui-ci lui a obtenu contre un peu de tabac pour le protéger du froid, il le revoit alité sur un châlit, mourir d’épuisement et du manque d’hygiène. Du camp, il ne veut finalement presque rien dire. Les plus grandes tragédies se vivent de l’intérieur. Bertrand Herz (né en 1930) préfère se remémorer la vie d’avant, son enfance au Vésinet, son père ingénieur chez Alsthom, décoré de la Légion d’honneur pour service rendu à l’industrie française, ancien combattant de la Grande Guerre, une famille bourgeoise parfaitement intégrée qui se sent bien dans la république. Et puis c’est l’arrestation à Toulouse, le 5 juillet 1944, parce qu’ils sont juifs, l’internement à la prison Cafarelli puis le transfert à Buchenwald, le kommando de Niederorschel où l’on travaillait douze heures par jour, et enfin la libération en avril 1945. Comme d’autres témoins, Bertrand Herz rend hommage à Otto Hermann, le kapo communiste allemand interné depuis 1939 qui améliore le sort de ses camarades en faisant par exemple faire l’appel à l’intérieur du camp-usine plutôt qu’à l’extérieur. Des lettres sont même échangées avec sa mère et sa sœur internées à Ravensbrück, cette mère adorée qui, elle non plus, ne reviendra pas.
La pudeur affleure dans chaque page de ce document. Ne pas trop en dire, ne pas trahir sa mémoire, rester fidèle au gosse que l’on a été. Le pull-over de Buchenwald se distingue d’autres nombreux témoignages sur les camps non par ce qu’il dit mais par ce qu’il tait. Au-delà d’une certaine douleur, les mots ne sont plus valables. Laurent Lemire