Entretien

Elisabeth Nicoli (Des Femmes-Antoinette Fouque): "Nous avons toujours été intersectionnelles"

Portrait d'Antoinette Fouque - Photo Sophie Bassouls

Elisabeth Nicoli (Des Femmes-Antoinette Fouque): "Nous avons toujours été intersectionnelles"

Née en même temps que le Mouvement de Libération des Femmes, la maison d'édition Des Femmes-Antoinette Fouque se renouvelle, appuyée par la nouvelle génération féministe. Entretien avec Elisabeth Nicoli, codirectrice.

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Par Dahlia Girgis
Créé le 27.08.2020 à 21h40

"Lutter contre l'impérialisme oui, mais l'impérialisme du phallus !", avait tendance à dire Antoinette Fouque. Après avoir cofondé le MLF, Mouvement de libération des femmes, en 1968, elle est à l’origine, en 1973, des éditions Des Femmes, pionnières dans leur genre en Europe, et de la première librairie des femmes, située dans le quartier Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Cette année, outre les 50 ans de la première manifestation du MLF, les éditions Des Femmes célèbrent aussi les 40 ans de leur catalogue de livres lus.

Elisabeth Nicoli, avocate et militante du MLF, l'a rejoint en tant qu'assistante. La coprésidente de l'Alliance des femmes pour la démocratie est aujourd'hui devenue codirectrice de la maison d'édition Des Femmes-Antoinette Fouque. Le féminisme a changé et la maison d'édition s'adapte aux mouvements féministes actuelles.

Quel bilan faites vous après 50 ans de militantisme pour la cause des femmes ?

Au-delà d'un mouvement social ou politique, on défend un mouvement de civilisation. Malgré les protestations viriles qui reviennent de temps à autre, le Mouvement de Libération des Femmes reste présent et se poursuit aujourd'hui. On a pu le constater avec des évènements comme #Metoo. Cinq assemblées générales sur ce thème se sont tenues dans nos locaux. C'était très important pour nous, car c'est un mouvement de libération de la parole des femmes et c'est ce qu'on fait depuis notre fondation. Nous prenons depuis le début la parole contre les violences faites aux femmes en créant de lieux ouverts et indépendants pour changer les choses. Lors de cet évènement, certaines jeunes femmes très courageuses n'ont pas trouvé de lieux où s'exprimer, alors nous en avons ouvert. Nous considérons que la transmission de notre cause est assurée.

Que pensez-vous des débats féministes actuels, par exemple, celui concernant la représentation des femmes racisées dans notre société ?

Nous avons toujours été intersectionnelles. Ce n'est pas uniquement une lutte pour les droits des femmes, mais contre tous les types de discriminations qu'elles soient ethniques, culturelles ou sexistes. Nous aimons la liberté, l'aventure et la diversité dans les langues. Nous avons décidé de faire des traductions d'ouvrages de femmes du monde entier. Là encore, nous avons été pionnières dans ce domaine. Nous nous sommes ouvertes à toutes les femmes, à travers la publication notamment de témoignages d'auteures censurées. C'est le cas de la militante américaine Angela Davis, militante au sein du mouvement des Black Panthers (Femmes, race et classe, traduit par Dominique Taffinet).

Nous privilégions le débat en déconstruisant et proposant autre chose, ce qui demande parfois du courage. Nous avons fait très tôt le choix de publier le récit de femmes emprisonnées par exemple, comme Eva Forest, qui était une anti-franquiste (Journal et lettres de prison, traduit de l'espagnol par le Collectif de traduction de l'éditeur). La société les qualifie souvent de "folles", mais nous avons voulu les faire connaître et lever la censure. Pour contrer cela, nous avons lancé notre collection, "Les femmes ont leurs raisons".

Quel est le lien qu'entretien la maison d'édition Des Femmes avec les nouvelles générations féministes ?

Il y a une génération qui n'a pas fait grand chose après la nôtre, une génération qui pensait que tout était acquis. Nous n'avons pourtant pas arrêté de travailler. Puis dans les années 2010, le mouvement Femen est apparu. Pour Antoinette Fouque, elles sont les petites filles du MLF car elles sont créatives et leur nudité est héroïque. Nous avons créé un lien important avec elles. En 2017, nous avons publié ?leur livre Rébellion? . Le mouvement, très décrié, a souffert de désinformation et de déformation. Il fallait restituer la vérité.

La nouvelle génération de féministes nous a aussi aidé pendant le confinement. Elvire Duvelle-Charles, la coauteure de Clit révolution : manuel d'activisme féministe, a donné l'idée de faire une campagne de financement participatif pendant la crise sanitaire. Nous l'avons lancé sur KissKissBankBank avec en contrepartie aux dons un coffret de trois livres.

Justement, comment avez-vous vécu le confinement ?

Nous nous sommes bagarrées pendant la crise sanitaire, nous nous sommes battues juridiquement, fiscalement, et par tous les moyens pour vivre et exister, par exemple en multipliant les ventes par correspondance. Plusieurs solidarités devaient s'exprimer. D'une part, il y a eu une solidarité envers les femmes qui étaient en première ligne pour lutter contre la pandémie. D'autre part, une solidarité contre les violences conjugales qui à ce moment là se sont multipliées. Nous avons donc publié des livres numériques engagés pour donner de la force et de l'énergie aux femmes.

Parmi ces ouvrages, il y a Les sociétés matriarcales : recherches sur les cultures autochtones à travers le monde de Heide Goettner-Abendrot (traduit de l'anglais par Camille Chaplain), Tout sur le rouge d'Elise Thiébaut ou encore Nous aurons aussi de beaux jours : écrits de prison de Zehra Dogan (traduit du turc par Naz Oke et Daniel Fleury). Nous avons également filmé la galerie, où des auteures exposent leur travail, et organisé des rétrospectives.

Quels sont vos projets ?

Nous avons profité du confinement pour développer notre "Bibliothèque des voix". Ce projet nous tient à cœur car beaucoup de femme dans le monde n'ont pas accès à l'écrit. Nous étions les pionnières dans ce domaine. Pour les 40 ans de la bibliothèque, nous allons publier le 1er octobre un CD en hommage à notre fondatrice, intitulée De la voix, Antoinette-Fouque. Des extraits de textes d'Antoinette seront lus par Fanny Ardant, Ariane Ascaride, Lio et l'auteure elle-même.

Nous allons également publier le 8 octobre un coffret sur l'auteur brésilienne Clarice Lispector, à l'occasion de son centenaire. Il contiendra les livres de l'auteur, La passion selon G. H. dans une nouvelle traduction de Paulina Roitman et Didier Lamaison, L'heure de l'étoile (traduit du portugais par Marguerite Wünscher et Sylvie Durastanti), avec une postface de Paulo Gurguel Valento (traduite du portugais par Didier Lamaison), ainsi qu'un livre illustré de photos et de fac similés issus de ses manuscrits. 

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