Après Haka (Baleine, 1998) et Utu (Gallimard, 2004), sa saga maorie qui nous entraînait en Nouvelle-Zélande, Zulu (idem, 2008) en Afrique du Sud, puis Mapuche (idem, 2012) en Argentine, tous romans à succès, Caryl Férey nous invite aujourd’hui, avec Condor, au Chili, pour un nouveau thriller géopolitique à sa façon.
Très habilement conçu, avec un suspense haletant - c’est la loi du genre - et une sacrée galerie de personnages, côté bons comme côté méchants. Une avalanche de rebondissements, de crimes, de violence, mais aussi une histoire d’amour passionnelle, entre Gabriela, la jeune vidéaste indienne (une Mapuche, justement) qui défend les droits de sa tribu spoliée depuis des décennies par l’homme blanc, et Esteban Roz-Tagle, de quatorze ans son aîné, fils d’une famille richissime, noceur, dandy, écrivain en devenir, mais, surtout, "avocat des causes perdues". A eux deux, avec l’aide de Stefano, l’"oncle" de Gabriela, propriétaire d’un cinéma d’art et d’essai à Santiago - un "retornado", revenu au pays après des années d’exil en France parce qu’il avait été l’un des derniers combattants aux côtés du président Salvador Allende pour lutter contre les putschistes de Pinochet en septembre 1973 -, du père Patricio - vieux curé charismatique qui œuvre au cœur de la poblacion La Victoria, un des pires bidonvilles de la capitale -, et du gay Luis Villa - l’un des rares "pacos" (flics) honnêtes -, ils vont se lancer dans une enquête périlleuse. Elle les fera remonter jusqu’au cœur de la nomenklatura chilienne, où les mafieux, les politiques, les juges, les journalistes, la police, collaborent, se serrent les coudes et s’enrichissent.
Tout commence quand on retrouve, à La Victoria, les corps de quatre gamins, dont celui d’Enrique, le fils de Cristian, un journaliste de la chaîne Senal 3, ami de Gabriela. De fil en aiguille, les détectives amateurs vont démanteler un trafic de drogue à grande échelle, dirigé par Daddy, le caïd local, mais dont le big boss n’est autre que Gustavo Schober, secondé par un certain Javier Porfillo. Leur but : acheter avec leur argent bien mal acquis des terrains dans l’Atacama, tout au nord du pays, à Elizardo, un vieil Indien à moitié fou, parce que ceux-ci recèlent un fabuleux gisement de lithium. Mais, alors que les cadavres s’accumulent de part et d’autre avec une rare cruauté, nos amis découvrent que Schober s’appelle en vérité Eduardo Sanz, et Porfillo Jorge Salvi, tous deux anciens cadres de la DINA, la redoutable police secrète de Pinochet, responsable de tant d’arrestations, tortures, disparitions, massacres. A l’époque, l’élimination des opposants politiques s’appelait "Plan Condor". Au péril de sa vie, Esteban va se transformer en justicier, et le tout s’achèvera dans une scène digne de Sergio Leone. C’est documenté, brillant et passionnant. J.-C. P.