Le professeur Emmanuel Derieux, qui enseigne le droit de l’information à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), est sans doute l’universitaire connaissant le mieux le régime de la liberté d’expression et de ses nombreuses exceptions. C’est pourquoi la nouvelle (la 8e) édition de son épais Droit des médias, droit français, européen et international (LGDJ) est indispensable à tout éditeur, de presse comme de livres.
Certes, la France est signataire de grands textes à vocation internationale prônant la liberté d’expression, de pensée et d’opinion. Sans oublier que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, toujours en vigueur en droit français, proclame que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement » ; tout en nuançant aussitôt par ces termes : « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés ».
De même, la loi du 29 juillet 1881, officiellement baptisée loi sur la liberté de la presse, énonce également en son article premier ladite liberté. Toutefois, elle est contrariée par les dizaines d’autres articles qui la composent et détaillent les délits de diffamation ou de provocation aux crimes et délits.
Les critères de la censure
Très nombreuses sont encore les autres dispositions qui permettent de censurer un écrit. Citions notamment la provocation au suicide, les lois sur le sexisme et l’homophobie, la notion actuelle de « messages à caractère pornographique » - qui a remplacé l’ancien outrage aux bonnes moeurs -, le secret de l’instruction, le secret-défense, le devoir de réserve, le secret professionnel, mais aussi et encore le respect de la vie privée, le droit à l’image, le régime des « publications destinées à la jeunesse »...
Parmi les plus récentes innovations du droit français, il faut relever, en 2018, la loi sur les Fake News comme celle sur le secret des affaires. Ces dernières année, seule un poignée de textes liberticides ont été abrogés… à la suite de la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. « Dès lors qu'il y a publication », rappelle Emmanuel Derieux, « le droit des médias a vocation à s'y appliquer ».
Rappelons que la qualification de « fiction » ne met en rien l’auteur et son éditeur à l’abri des foudres de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ou de la jurisprudence sur le respect de la vie privée. La publication d’un texte litigieux sous le label « roman » n’atténue en effet que très faiblement la responsabilité de l’auteur et de son éditeur si le texte fait référence à des situations ou des personnes réelles. Il en est également ainsi pour l’illusoire avertissement, que « toute coïncidence avec des personnes ayant existé ne serait que fortuite ». L’utilisation d’une telle formule peut même dans certains cas souligner une véritable volonté de porter atteinte à des individus réellement connus de l’auteur. Les annales judiciaires fourmillent de sanctions, parfois très sévères, à l’encontre de romanciers.
Le phénomène d’autocensure (exercé par l’éditeur, son service juridique ou son avocat) n’en est que plus fort. On ne peut toujours pas publier sans trier ou masquer, sous peine d’être condamné.
Les dommages-intérêts sont le visage moderne de la nouvelle inquisition et le traité d’Emmanuel Derieux représente, plutôt qu’une Bible, un sorte de Grand Larousse médical pour éditeur...