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“Editer et traduire" par Roger Chartier (Le Seuil)

" La traduction est la condition même des échanges sans lesquels il n’y a que barbarie." Roger Chartier

“Editer et traduire" par Roger Chartier (Le Seuil)

Le Seuil publie le 20 mai, Editer et traduire de Roger Chartier, une réflexion sur la pratique de la traduction et ce qu'elle a symbolisé au fil des siècles.
 

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Par Pauline Gabinari,
Dahlia Girgis,
Créé le 19.05.2021 à 03h12

Au lendemain d'un débat houleux porté par les traductions d'Amanda Gorman, Editer et traduire de Roger Chartier (Seuil, 20 mai) revient sur l'acte de traduction. Entre traduction littérale, totale et passage de l'oral à l'écrit, le professeur émérite au Collège de France explore la mobilité des textes selon les pays et les époques.

L'imprimerie : une autre façon de communiquer
« Avec l’invention de Gutenberg, “on a vu s’établir une nouvelle espèce de tribune d’où se communiquent des impressions moins vives, mais plus profondes ; d’où l’on exerce un empire moins tyrannique sur les passions, mais en obtenant sur la raison une puissance plus sûre et plus durable ; où tout l’avantage est pour la vérité, puisque l’art n’a perdu sur les moyens de séduire qu’en gagnant sur ceux d’éclairer ”. Ainsi, “cette instruction que chaque homme peut recevoir par les livres dans le silence et la solitude” permet d’opposer la froideur du raisonnement, l’examen critique et le jugement éclairé aux pièges tendus par les discours. »

Une définition contemporaine de la littérature
« La nouvelle définition [de la littérature] se fonde sur trois notions fondamentales : l’individualisation de l’écriture, l’originalité des œuvres et la propriété littéraire. Leur association rencontre une forme achevée à la fin du XVIIIe siècle, au temps du « sacre de l’écrivain » pour reprendre la formule de Paul Bénichou. Ce “sacre” se traduit par la conservation et la fétichisation des manuscrits autographes, devenus garants de l’authenticité des écrits de l’auteur, le désir de le rencontrer ou de correspondre avec lui, le pèlerinage sur les lieux où il vécut, l’érection de statues et de monuments qui le glorifient. »

Aux origines de la traduction
« Dans le livre de Jean de Léry, la question de la traduction est omniprésente. C’est elle qui permet le commerce entre les hommes. D’où le rôle essentiel des “truchements”, ces Normands installés en terre américaine pour faciliter le commerce du bois de brésil, “coupé et porté par les sauvages pour charger les navires”, comme l’indique la Table finale. Ils ont appris la langue des Tupinambas et, d’une certaine manière, le sont devenus. […] Condamnables, les truchements sont néanmoins indispensables, tant pour interpréter les rituels et les intentions des Indiens que pour traduire leurs mots. […] La traduction est la condition même des échanges sans lesquels il n’y a que barbarie. »

Passer d'une langue ancienne à une langue moderne
« Récemment, l’attention a été portée sur les “traductions” de certaines œuvres dans leur propre langue, lorsque leur distance par rapport aux lecteurs d’aujourd’hui les rend difficilement intelligibles. De ces “traductions”, qui transforment en étrangeté une apparente proximité, un exemple spectaculaire a été en 2015 la  “traduction” en espagnol de Don Quichotte proposée par Andrés Trapiello sous le titre Don Quijote de la Mancha, Puesto en castellano actual. Les traductions d’auteurs français en français montrent comment cette distance, ou sa perception, se modifie avec le temps et éloigne certains auteurs qui paraissaient proches.»

Réappropriation par le langage
« Finalement, les appropriations des œuvres par les comédiens, les spectateurs et les lecteurs, qui sont autant d’interprétations qui construisent le sens. Les “gages” de Sganarelle, devenus les derniers mots de la pièce de Molière, sont-ils comiques ? Dérisoires ? Désespérés ? Révoltés ? Impies ? De cette incertitude naît leur force perpétuée. »

De l'oralité à l'écrit, éditer Shakespeare
« On constate la tension entre la revendication d’un texte idéal, parfaitement conforme à celui que l’auteur a conçu et écrit, et les variations introduites par la matérialité même de l’imprimé.  […] La relation “schizophrénique”, inaugurée par la Restauration, ne concerne pas seulement ce contraste entre la représentation et la publication, entre les réécritures et les rééditions. Elle traverse le travail de l’éditeur lui-même, qui déploie de multiples procédés pour une fin qu’il sait impossible. »

Voltaire, premier traducteur de Shakespeare
 « Au commencement était Voltaire. C’est en effet dans ses Lettres philosophiques qu’est publiée la première traduction française du fameux monologue d’Hamlet. Voltaire, qui a séjourné en Angleterre entre 1726 et 1729, a écrit en anglais ce livre publié à Londres en 1733. […] Les exemplaires de l’édition furent brûlés sur ordre du Parlement de Paris le 10 juin. »

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