Essai/France 26 septembre Georges Duby

« L'année 1214, le 27 juillet tombait un dimanche. Le dimanche est le jour du Seigneur. On le lui doit tout entier. » Rares sont les grands livres d'histoire qui commencent comme des romans. C'est ce sens du récit, l'élégance du texte, ce qu'il appelait lui-même « l'attrait du plaisir », qui ont fait la signature de Georges Duby (1919-1996) et qui lui valent aujourd'hui son entrée dans la « Pléiade » où il rejoint Michelet, autre grand styliste qui cherchait à faire surgir la vie du silence des pierres et des bibliothèques.

Pour raconter Bouvines, pour en faire le terrain d'une histoire sociale, il utilise Guillaume Le Breton, le témoin de la victoire de Philippe Auguste. Il ne dissimule pas les ténèbres qui voilent les faits. Au contraire. Il s'en sert. Il donne à voir au travers. Il suggère au maximum de ce qu'il est possible de suggérer. Pour se faire chair, l'histoire ne peut se contenter de fantômes. Il faut bien saisir un peu l'étoffe de l'événement.

Duby n'est pas un théoricien de l'histoire. Il la pense en la faisant et en faisant sentir. Dans sa thèse, en 1952, il pose les bases de sa démarche et de son champ d'étude : les sociétés françaises entre le Xe et le XIIe siècle. En cela, il est bien le continuateur de Lucien Febvre et de Marc Bloch, les fondateurs de l'école des Annales, et le compagnon de route de ces « nouveaux » historiens que sont Fernand Braudel, Jacques Le Goff ou Emmanuel Le Roy Ladurie. Mais il ne renonce pas pour autant à sa subjectivité. « Ce que j'écris, c'est mon histoire. » Comme ces profs écrivains que furent Claude Lévi-Strauss, Michel Foucault ou Roland Barthes, il considère son travail comme un art sans ne jamais rien céder à la rigueur scientifique. C'est cette alliance extraordinaire du savoir et du savoir-faire qui fonde sa notoriété.

Ce Moyen Age sensible et humain s'exprime à travers les textes retenus : Le dimanche de Bouvines, Le temps des cathédrales, Guillaume Le Maréchal, Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Dames du XIIe siècle et sa leçon inaugurale au Collège de France qui sert de programme dans sa quête de « l'homme vivant qu'il fallait chercher sous la poussière des archives ».

Georges Duby prenait soin de ne pas gêner ses lecteurs par des notes interminables, considérant que les coulisses n'intéressaient que les professionnels et que ce qui comptait c'était la représentation du passé. Cette « Pléiade » intègre pourtant un appareil critique en fin de volume. « Pour la première fois, explique Felipe Brandi, qui a établi cette édition, ses lecteurs auront l'occasion de découvrir ici les références cachées de Georges Duby, les nombreuses lectures jamais explicitées et cette trame de citations qui font partie intégrante de la magie de ses écrits. » Une façon de rappeler que, selon la formule de Pierre Nora dans sa préface, « un historien n'est jamais seul », même s'il est en tête du peloton.

Georges Duby
Oeuvres - Édition établie par Felipe Brandi, préface Pierre Nora
Gallimard
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 72,50 € (prix de lancement jusqu’au 31.3.2020 : 65 €) ; 2 080 p.
ISBN: 9782072776205

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