Après plusieurs biographies à succès, de Romain Gary (Mercure de France, 1987) à Colette (Grasset, 2017), en passant par les sœurs Heredia, Gala, Camille Claudel ou Clara Malraux, tous des artistes morts depuis plus ou moins longtemps, Dominique Bona a décidé de se remettre en question, de consacrer un livre à une héroïne vivante, la comtesse Jacqueline de Ribes. En dépit d'une certaine méfiance première, elle a ainsi pu bénéficier d'une douzaine d'entretiens avec son sujet (mais jamais chez elle) et d'un accès privilégié à ses archives, un véritable trésor méticuleusement conservé au 50, rue de la Bienfaisance, l'hôtel particulier de la famille, que Madame, désormais veuve, trop âgée (elle est née en 1929) et souffrant depuis de nombreuses années de lourdes pathologies, n'habite plus, et qui ressemble un peu à un vaisseau fantôme. « Ici, on garde tout », explique fièrement l'archiviste qui en a la charge.

En 2019, Jacqueline de Ribes a organisé, chez Sotheby's, une vente aux enchères de ses trésors de famille, provenant à la fois du côté Rivaud (sa mère, une dynastie de banquiers à la tête d'un véritable empire) et Beaumont (son père, le gentleman séducteur) et du côté Ribes (son mari, banquier également, issu d'une famille très « ancien régime »). Noblesse, fortune, culture, goût, rien que « du gratin », comme elle dit, avec ce parler un peu canaille chic des Guermantes, croqués par Marcel Proust. À la vente figuraient cinquante-neuf lots, tableaux, sculptures, objets d'art, livres de haute bibliophilie, qui partirent pour 22 millions d'euros. Bien loin derrière les ventes de ses amis Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, qui aidèrent Jacqueline de Ribes, passionnée par la mode, à créer et faire vivre sa propre maison de haute couture, de 1982 à 1995, mais quand même. Une époque s'achevait.

Deux ans auparavant, à New York, pour les 150 ans de Harper's Bazaar, la photographie de la comtesse, prise par Richard Avedon, s'affichait sur l'Empire State Building, seule Française et inconnue du grand public au milieu de tant de stars et de mannequins. Jacqueline de Ribes passait alors pour « la femme la plus élégante du monde », belle, raffinée, d'un panache fou.

Mais toutes ces pages sont maintenant tournées, et la banque familiale, à la suite de problèmes fiscaux, de financements peu regardants de partis politiques (UDR puis RPR), avait échappé à Édouard de Ribes (décédé en 2013) et à son fils Jean, mis en examen puis bénéficiant de non-lieux, en 2004 et 2009. Elle est tombée dans l'escarcelle de Vincent Bolloré, le « fils spirituel ».

Dans une démarche proustienne, Dominique Bona part à la recherche de ce temps perdu, flamboyant, de ce monde révolu, celui de la jet-set internationale, des fêtes somptueuses, de l'argent qui coulait à flots et sans complexe. Sans contrepartie, avec son sérieux et son honnêteté intellectuelle coutumiers, la biographe a réussi son pari : intéresser le vulgum pecus a un personnage avec qui, à l'origine, il n'a guère en commun, voire dont il n'avait jamais entendu le nom.

Dominique Bona
Divine Jacqueline
Gallimard
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 24 € ; 528 p.
ISBN: 9782072900372

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