La campagne de sensibilisation lancée par la Fédération des Aveugles de France (FAF) n’est pas passée inaperçue. On y voit des personnalités arborer, grâce à la magie du photomontage, des lunettes noires et une canne blanche. Parmi elles, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Pour lui, on n’est pas sûr qu’il s’agisse d’un photomontage. Sans doute portait-il réellement des lunettes noires, qui l’aveuglaient, lorsqu’il a exprimé son soutien à la Tunisie de Ben Ali. Et ce sont ces mêmes lunettes qui l’auront empêché de lire le calendrier 2011 des célébrations officielles, pourtant publié sous son autorité, où figurait le nom de Céline, mais qu’il s’est empressé de zapper à la première rodomontade. PPDA n’est pas du nombre des personnalités « détournées » par la FAF. Pourtant, lui aussi devait chausser des lunettes noires, lorsqu’il a dédicacé aux journalistes les « épreuves » du livre portant son nom — pourtant écrit en gros caractères, comme pour les ouvrages destinés aux mal-voyants. Si je reparle de cette pitoyable farce, c’est que PPDA, dans le Monde de ce mercredi, s’est fendu d’une interminable tribune où il ne parle que de « campagne », de « curée », de « montage », de « cabale » contre lui. Passe encore que le Monde ait accepté de publier ce texte. Mais là, il faudrait peut-être arrêter de prendre les gens pour des imbéciles. On glose, un peu partout, sur la perte de crédibilité des politiques. Ce refrain des « tous pourris » favorise, comme dans les années 1930, la montée des populismes (aujourd’hui Le Pen et autres Mélenchon). Mais la gent politique n’est qu’à l’image de l’ « establishment » civil (pardon d’employer un mot justement utilisé par les populistes, mais peut-on encore parler d’ « élites » ?) qui se croit tout permis, en toute impunité. La défense abracadabrantesque de PPDA et de son éditeur n’est pas seulement pathétique. Elle témoigne surtout d’un mépris effarant pour les journalistes (les vrais), les libraires et les lecteurs. Bon, j’arrête là-dessus, et définitivement, c’est promis. Revenons plutôt à nos moutons : la campagne de la FAF. En légende de la photo de Frédéric Mitterrand, barrée du slogan « Encourager la lecture », on peut lire : « Le saviez-vous ? Seulement 3% des ouvrages publiés en France le sont également en braille ». Animée de bonnes intentions, la FAF ne fait-elle pas, ici, fausse route ? Y a-t-il encore vraiment intérêt, à l’heure d’Internet et des nouvelles technologies, de consacrer autant d’énergie pour favoriser la publication d’ouvrages en braille, une solution coûteuse et… surtout extrêmement encombrante. Un « Larousse de Poche » traduit en braille nécessite 20 volumes. Les Misérables , de Hugo… 50 volumes. Il me paraîtrait plus judicieux d’axer les efforts sur Internet, où l’offre de lecture et de documentation est immense : les aveugles y ont accès, grâce aux barres tactiles qui peuvent équiper les claviers de leurs ordinateurs, mais le problème, semble-t-il, est qu’un nombre trop limité de sites sont équipés pour la transcription adéquate. Enfin, peut-être verra-t-on apparaître, dans un proche avenir, un e-book en braille. C’est en tout cas le sens d’un projet développé, depuis 2009, par quatre designers coréens. Semblable, dans son apparence extérieure, à un reader type Kindle, et fonctionnant pareillement, pour alimenter son contenu, sur le téléchargement de bibliothèques numériques, leur e-book est constitué d’un écran en polymère électroactif qui, réagissant à un signal électromagnétique, permet d’afficher des caractères en braille. La technologie (à laquelle s’intéressent également des Américains) a encore besoin d’être perfectionnée (le temps de rafraîchissement des pages est trop long, la consommation d’énergie est trop importante pour la capacité des batteries d’un reader…), mais l’outil a de quoi séduire… : s’il se concrétisait, les aveugles auraient alors à leur disposition les mêmes ouvrages que les voyants. Ce serait, en tout cas, une belle postérité pour le braille, cette langue universelle (et qui s’appelle « braille » dans toutes les langues du monde) qui approche des deux siècles d’existence. Au fait, « le saviez-vous ? », comme dirait la FAF : Louis Braille est enterré au Panthéon. Mais pas en entier. Ses mains sont restées inhumées dans son village natal de Coupvray, en Seine-et-Marne. Un exemple rare (unique ?) de reliques d’un saint laïc…